Nebraska* : sur Mauvaise étoile de RJ Ellory - une lecture de Stéphane
Le dernier Ellory va à 200 à l'heure sur l'I-10, l'interstate qui va de la Californie à la Floride. Sur cette route, les rencontres, parfois éphémères, vont s'enchainer. Les meurtres aussi. Des agressions brutales, au gré du hasard et de la mauvaise chance d'être là. Au mauvais endroit, au mauvais moment.
Mauvaise étoile, Bad Sign en vo., semble jouer la carte de la prédestination et de la mal-chance.
Avec ce cinquième roman**, RJ Ellory change encore de genre. On est toujours dans le roman policier (un genre si large qu'on peut s'interroger sur sa définition), mais comme dans Seul le silence, il y a tellement plus. On sait qu'Ellory aime changer de scènes (géographique, temporelles, types d'intrigue) et utiliser la demesure américaine pour ses romans (voir notre entretien, ICI)
Ca débute comme ça :
"A environ vingt-cinq ans, Carole Kempner avait fréquenté assez d'hommes pour ne plus connaître autre chose que la déception. Elle avait eu deux fils de deux misérables bons à rien qui semblaient cruellement déficients à tous les égards. L'un était idiot et irréfléchi, l'autre était purement et simplement cinglé."
Elliott "Digger" Danziger et Clarence "Clay" Luckman sont demi-frères par leur mère. Ils deviennent orphelins quand Clarence, cinq ans, voit son père tuer sa mère. Elliott a six ans et demi. Ils vont passer deux jours près du corps. Proches et inséparables, ils le resteront. Jusqu'en 1964, ils ont alors dix-neuf et dix-sept ans.
Ils vont aller de maisons de correction en établissements pénitentiaires pour mineurs, passant leur jeunesse à subir l'injustice et la violence des autres, en particulier celles des adultes. La frustration, la rage et la soif de liberté couvent.
"Neuf fois sur dix, il se battait pour Clay, et Clay lui en était reconnaissant. Cette loyauté et cette fraternité comptaient plus que tout pour eux, même si c'était pour des raisons différentes. Digger avait décidé qu'il était responsable de l'intégrité physique de son frère, et Clay, eh bien, il se disait qu'un jour Digger serait réceptif à l'édcuation, à l'instruction, que sa perception mentale et émotionnelle de la vie s'élargirait. Digger était le bagarreur, et Clay, le philosophe. S'ils avaient été réunis dans un seul corps, ça aurait fait un sacré gamin."
Earl Sheridan, quant à lui, est un meurtrier vicieux en route pour être exécuté. A cause d'une tempête, le convoi qui l'emmène vers sa potence doit faire une halte, à Hesperia où se trouvent les deux frères. Sheridan prend les deux garçons en otage. Commence alors une randonnée sauvage de neuf jours qui va faire beaucoup de victimes - et faire éclore le pire et le meilleur chez les deux frères. C'est au gré des kilomètres parcourus sur l'I-10, sous ou contre la mauvaise étoile qui les a vus naître, qu'ils vont irrémédiablement basculé dans l'âge adulte.
_________Ci-dessous, l'I-10, du côté de Van Horn, le bled où se termine la tuerie...________
Mauvais signe n'est pas un roman policier à la whodunit. Le lecteur sait qui fait quoi, il assiste à la débauche de violence commise par Earl, puis par son émule, Elliott "Digger", alors que dans son sillage, Clarence essaye tant bien que mal d'échapper aux autorités. Malgré tout, l'enquête menée par deux agents du FBI, et, en solitaire, par le simple détective Franck Cassidy, est palpitante. Et surtout Ellory parvient encore à insuffler une profonde humanité à son récit. C'est sans doute la grande force de RJ Ellory : ce soin apporté à tous les personnages. Il n'y a pas de figurant, dans un roman de Ellory, mais des personnages dont l'épaisseur psychologique est au service du récit. "Peut-être était-ce simplement une accumulation d'incidents mineurs, mais ceux qui comprenaient un tant soit peu la psychologie humaine savaient que le pouvoir des petites choses ne devait jamais être sous-estimé." Etrangement fasciné par la folle descente aux enfers de Digger et de Earl , le lecteur entre dans la psyché de ces tueurs à la furie aveugle. Et il accompagne Clarence et dans ce voyage au coeur de l'Amérique des années 60, celle de la fin de l'innocence : combien de personnages se lamentent de voir, ou remarquent simplement, comment les choses sont en train d'évoluer, dans le roman? Beaucoup. Tout le roman est emprunt d'un sentiment de perte de l'innocence.
Ellory vient de donner une nouvelle leçon.
Signé Stéphane
RJ Ellory, Mauvaise étoile, Bad sign, traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau (La traduction est parfaitement fidèle à la fluidité de la langue d'Ellory) Lu par Doug Coleman.
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* ICI. Il fallait évidemment un titre de Nebraska. Pourquoi pas Nebraska? Le premier titre de l'album est aussi une histoire de meurtrier.
** Vendetta : ICI - Les Anonymes : ICI - Les Anges de New York : ICI