My lady story* : sur Boy de Richard Morgiève - une lecture critique de Stéphane
Boy est une fille.
Boy a pour prénom Erwin.
Elle vit avec son père qui est devenu un légume à la suite d'un accident cérébral. Il ne peut plus écrire, malgré ses succès passés. Tous les jours, Boy le place devant son écran, en espérant qu'il retrouve ses facultés et la vie. Boy participe à des jeux de rôles où elle réalise les ébauches d'histoires que son père n'a pas finies d'écrire, espérant là encore provoquer un électrochoc salvateur.
"Elle ne peut pas expliquer son rapport aux histoires. Et surtout aux histoires de son père. Elle les joue pour qu'elles existent et qu'en existant elles viennent au secours du père, que les héros du père le tirent de là. Ce sont des êtres violents et courageux. Des êtres de parole..."
Ca débute comme ça :
"Boy est blessé le 7 octobre 1951 à Bo-Sien, au nord du Tonkin."
La fiction n'est pas dans la vie de Boy; elle est la vie. "Se distraire, c'est tout ce qui reste aux hommes ordinaires, pense Boy, qui voudrait être un gisant, un souvenir, mais pas elle."
Boy glisse du jeu à la fiction et de la fiction à la réalité. Un élément va la faire définitivement basculer dans une réalité dans laquelle elle ne semble jamais avoir vécue et qui lui fait terriblement peur. Son corps lui fait peur, les hommes lui font peur, l'amour et le sexe lui font peur : ce qu'elle ne connait pas lui fait peur.
"Les histoires du père présentes depuis toujours l'ont empêchée de réfléchir, d'être. Avec le père, il n'y avait que des personnages, que de la fiction, aucune réalité, pas de femme, ni d'homme, que des mots. Des mots et il s'en soûlait. Vivait en prison avec eux et son fils."
Bill, un hacker malveillant, SPAM humain, bascule dans la réalité et fait le ménage chez les joueurs. Quand il croise le profil de Boy, l'obsession devient folie meurtrière. La traque est lancée. Le jeu a changé. "Elle souffre. On ne joue pas avec les fictions, se dit-elle. En tout cas, pas impunément."
Avec, en bande-son, les thèmes joués par un voisin (harmonica, synthé) participent à l'ambiance : Il était une fois dans l'ouest, Blade Runner, Blue velvet. Du lourd. Ces musiques renvoient d'ailleurs le lecteur à des ambiances autant qu'à des musiques. "Le western, quoi." comme le dit Morgiève au détour d'une scène d'action.
"Souvenirs qui passent à haute vitesse, images, images de films, résonances de livres lus, c'est ça le présent. On ne vit rien qui ne soit pas modifié par ce que l'on sait pas de nous-mêmes. Elle n'est pas qui elle croit être. Elle est une sorte de conséquence de tout ce qu'elle a vu, entendu."
A l'heure de l'hypertechnologie et de l'informatique omniprésents, avec ce que cela inclue d'images, et de perte d'innocence, comment vit-on? Comment aime-t-on? "UNE VIERGE ET UN MONSTRE. UNE HISTOIRE D'AMOUR A L'HEURE DES JEUX" titrent la presse. La soif de sensations a remplacé le besoin de sentiments ; les images, les souvenirs. "Il faut tweeter pour exister."
Derrière le thriller furieux et survolté, il y a d'autres quêtes : l'identité, l'amour, l'honneur. Derrière le roman, il y a le style, comme toujours chez Morgiève. La transgression des genres et des codes, et la surprise sont une de ses qualités de romancier. L'autre, c'est la langue. Nerveuse, inventive, rythmée.
"Où commence la littérature, disait le père. Là où l’imitation n’est pas."
Richard Morgiève n'imite pas.
Signé Stéphane
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* Avec Antony and the Johnsons, ICI.