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SERENDIPITY

Parachutes* : sur Dieu me déteste de Hollis Seamon - une lecture critique de Stéphane

15 Mars 2014, 09:36am

Publié par Seren Dipity

Dieu me déteste est un conte (avec une Princesse, un Prince Charmant, et un Dragon) une comédie (avec bons mots bien envoyés, scènes foutraques), une romance (une histoire d'amour contrarié qui fait plus qu'un clin d'oeil à Roméo et Juliette - les familles sont surnommés les "Capulet et Montaigu") et une tragédie (le malheur est annoncé dès l'ouverture.) Ca fait beaucoup? Ouaip. C'est un grand  petit livre.

Dieu me déteste est le premier roman de Hollis Seamon. C'est aussi le premier roman d'un nouvel éditeur, avec une vraie ligne éditoriale**, La Belle Colère, né de la rencontre de deux éditeurs déjà connus, Dominique Bordes (Ed. Monsieur Toussaint Louverture) et Stephen Carrière (Ed. Anne Carrière)

Dieu me déteste est la traduction, par Marie de Prémonville***, de Someboby Up There Hates You.

Ca débute comme ça :

"Hé, je vous baratine pas. Je suis fiable à cent pour cent, je vous jure. Moi, Richard Casey - alias l'Incroyable Garçon Mourant -, je vis bien en ce moment même, quoique temporairement, dans l'unité de soins palliatifs que je vais vous décrire ici."

Richard est dans le couloir de la mort. Espérance de vie : moins d'un mois. Mais ça va, les hôpitaux, il gère. Il y a passé une grosse partie de sa courte vie. Le problème du Roi Richard? Un DMD. Un SUTHY.

Un quoi? demande Chantal Lauby?

Un serial killer, répond Alain Chabat.

"Le syndrome DMD, c'est la seule réponse qui veuille dire quelque chose, bordel." ****

Le temps est compté dans le service, tellement compté que Richard ne dort plus, ou presque, pour profiter des quelques jours qui lui restent. Bientôt Halloween, bientôt l'anniversaire de Richie (il aura 18 ans si Dieu fait une pause.) Bientôt Noël mais là, faut pas rêver : Richard n'en espère pas tant. Dans un rêve Sylvie émet un souhait pour Noël : être. Elle veut juste être.

L'ouverture et le ton vous rappelleront peut-être d'autres romans. Huck Finn et Holden Caufield n'ont pas fini de hanter les romans de l'adolescence à la dérive, en fuite ou en quête du monde adulte. Richard Casey a deux, trois trucs à nous dire avant de filer comme une étoile.

Richard Casey entre dans votre vie pendant quelques heures. Il y reste. Aussi éphémère que soit sa vie, elle fait du bruit, laisse des traces. Richard Casey, c'est d'abord une langue. C'est presque tout ce qui lui reste à Richie. La tchatche, le bagou, le cri rebelle.  La langue d'un garçon de dix-sept ans qui n'a pas eu le temps de mâcher ses mots (ses dents le font souffrir) mais qui a regard perçant (malgré les lumières douloureuses). Alors il balance, Richard. Pourquoi prendrait-il des gants, "quand l'expression phase terminale a commencé à fleurir dans [son] dossier et que soins palliatifs est devenu [son] adresse permanente" ? L'oralité de l'écriture fait partie du genre.

C'est le premier charme du roman : les sorties ironiques et cruellement drôles du gamin font souvent rire mais laissent un goût dans la bouche. "Après ça, on passe direct à la morphine, autant que je veux, quand je veux. Ils ont promis. C'est toujours sympa d'avoir des projets d'avenir." A l'âge où on fait des listes de ce qu'on aimerait faire, Richard fait une liste des trucs dont il n'aura pas à s'inquiéter "trouver un boulot, avoir des enfants ingrats, divorcer", etc. Richard Casey aime tendre les miroirs. Et après il s'en sert comme frisbee, pour le fun. Parce qu'il a dix-sept ans, bordel, et qu'à cet âge on n'est pas sérieux !

Mais le roman a d'autres atouts : la galerie de personnages. L'amie de tranchée de Richard, Sylvie, qui elle refuse les pronostics et semble bien décidée à tout vivre, l'oncle dysfonctionnel qui offre tellement d'échappées et d'échappatoires à Richard, la mère qui a pris "vingt ans en vingt mois" et les infirmiers et infirmières qui tentent de gérer tout ça... et bien d'autres.

"Jeannette, est-ce qu'il vous arrive de... euh... de prier?

- Hum. Prier? C'est une bonne question. Je pourrais, mais tu vois, contrairement à d'autres personnes, je ne crois pas que Dieu m'écoute. Parce que, regarde où je travaille. Comment diable je saurais pour qui prier, par ici?"

A ceux qui pourraient redouter la lecture d'un roman sur un garçon de 17 ans en fin de vie, qu'ils se rassurent : Hollis Seamon n'étale pas la maladie et la mort à chaque page.

Je ne dis rien des scènes qui vous couperont le souffle, littéralement, des scènes dont la beauté vous brisera le coeur, une scène de poker aux enjeux démesurés, etc.

Dieu me déteste est un choc. Un choc électrique.

Préparez-vous à être secoué ! Vous allez vous sentir plus vivant.

 

Signé Stéphane

____________________

* Pearl Jam, ICI. Offre des résonnances avec DMD.

"And love
What a different life
Had I not found this love with you"

Lyrics, ici.

** "Des romans pour adultes dont les héros sont des adolescents." La lettre de présentation évoque, également, Huckleberry et Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur. Il ne m'en fallait pas plus.

*** Traductrice habituée aux éditions Anne Carrière.

**** J'ai lu DMD en anglais et en français sur les "épreuves en cours de répèt' " envoyées par la formidable attachée de la maison, Virginie M. (merci encore!) La traduction définitive lit : "... c'est la seule réponse qui ait un putain de sens."

 

Un dernier truc sur Dominique Bordes : il fait vraiment de beaux bouquins que le libraire un brin fétichiste que je suis ne peux pas ignorer. Je remplace mes épreuves non corrigées par la version définitive après la sortie... Mon Mailman était tout noir, mon DMD tout orange pas joli.

Il est fort, hein?

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