Les salauds* : sur Le Sanglier de Pierre Luccin - une lecture critique de Stéphane
Le Sanglier, au départ, c'est une couverture :
C'est comme ça que je reçois le livre. Que j'ai envie de le tourner. Et je vois que ce sont les éditions Finitude à côté desquelles - honte à moi - je suis passé depuis des années (ratant ainsi plusieurs titres attirants, entre autres : Vauriens, voleurs, assassins de Raymond Hesse - épuisé et introuvable d'occasion! - et La Confession impossible de Luccin - commandé! - et d'autres encore) jusqu'à Noël dernier quand j'ai reçu et lu l'excellent Devenir Carver de Rodolphe Barry. Le mois dernier, ils ont publié Un Truc très beau qui contient tout de Neal Cassady.
Pierre Luccin, donc. Je ne connais pas l'auteur mais je suis plus qu'intrigué...
L'auteur a eu son heure de gloire, entre 43 et 47. Puis plus rien. Pendant cinquante-quatre ans, il n'écrit plus. Il reprend la plume en 2001 pour se lancer dans un roman autobiographique, resté inachevé : Le Sanglier. Et déclare :
«Le sanglier, c'est moi, c'est-à-dire un fonceur. Et l'histoire, celle d'un homme révolté.»
Ca débute comme ça :
" 'Vous êtes marié ?
- Oui.
- Des enfants ?
- Un. Mort. Bombardement.
- Domicile ?
- Sans domicile."
Daniel Braine rentre de la guerre. Après s'être évadé, pour la troisième fois, en espérant que c'est la bonne. Sa mère est morte. Son fils est mort. Dans l'effondrement de la maison. Sa femme est partie avec un type et son argent. Même sans ça, Daniel Braine aurait été remonté. Alors imaginez...
"La troisième tentative avait réussi, avait semblé réussir. En vérité, il venait de retomber plus lourdement encore dans le trou où le déchiquetaient, à présent, d'autres lions dans un autre pays [...]"
La fosse aux lions, Daniel y a déjà gouté et ne veut plus les voir. "Les salauds !"
C'est cette hargne qui me plait. Une hargne de revenant, célinienne parfois.
"Allons, assez de jérémiades. Il fallait se lever, satisfaire une dernière fois aux exigences d'une société tricheuse, se rendre au cimetière et faire semblant de prier."
Daniel décide de renoncer à la société des hommes, leurs guerres, leurs attentes et leurs conventions grégaires.
"Il n'était pas un réciteur d'amen. Il ne croyait plus au bonheur, du moins pas à celui que fabriquaient Dieu ou les gouvernements pour leurs sujets. [...] Il entendait disposer de sa personne et non être embrigadé comme il l'avait été jusqu'à ce jour dans les usines de la paix et de la guerre."
Mais quitter le troupeau ne se peut pas. Il faut alors se fondre dans la nature, aussi loin des hommes que possible. Réinventer la vie. Devenir sanglier au pays des "pourceaux domestiqués".
La langue de Pierre Luccin est à l'image de ce Daniel, enragée parfois, poétique dans sa simplicité et dans son hédonisme de la terre.
Malgré la rareté de ses livres, un auteur à redécouvrir, manifestement. Bravo aux éditions Finitude pour ce beau et grand petit livre plein de rage et de soif de vivre selon ses envies.
Signé Stéphane
La page de présentation des éditions Finitude sur Pierre Luccin, ICI.
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* Coluche, ICI. J'avais pensé à Piggies des Beatles mais, comme le dit Bono à propos d'Helter Skelter, Charles Manson a vol la chanson.