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SERENDIPITY

I have a dream : sur Rêve général de Nathalie Peyrebonne - une lecture critique de Stéphane

20 Mai 2014, 09:00am

Publié par Seren Dipity

Sorti l'an dernier, le roman était coincé dans une pile de livres restant à lire mais presque déjà, au rythme où paraissent les bons livres - et les moins bons -, voués à disparaître. Sa nouvelle édition en Libretto (collection de poche de Phébus) m'a rappelé à l'ordre. Imaginez le luxe de lire un roman sorti en mars 2013, en mai 2014.

Les affranchis comprendront.

Ca débute comme ça :

"Le moment, enfin, est arrivé.

Moment attendu, imaginé, fantasmé patiemment au fil des années."

Un matin, le Premier Ministre, homme d'action, de mouvement et de sacrifice, décide de ne pas aller travailler. Il reste à son domicile et demande à sa domestique de lui préparer ces petis gateaux si délicieux. Un footballeur contemple le ballon et quitte le terrain sans tirer le penalty qui devrait apporter la victoire. Un professeur quitte la salle de classe et s'en va voir comment va Paris. Une conductrice de métro, sort de sa cabine, laisse le train à quai et monte à la surface, respirer l'air du temps. Voilà quelques uns des premiers cas des récalcitrants, ceux qui disent non. Non à quoi d'ailleurs ?

Nathalie Peyrebonne alterne les situations, les personnages, les points de vue. Trois hommes et une femme vont nous dire le monde comme il pourrait aller, dans un rêve général libertaire et salutaire. Point commun/point de départ à ce petit monde du refus : le discours du Président. Les voeux du Président du 4 janvier. Pourquoi n'a-t-il pas respecter l'habituelle date du 31 décembre ? Travailler plus, dit-il.  Achetez. Continuez le combat contre le chomage, l'indolence. Et toi, t'étais où le 31 ?

Et si le combat n'était pas celui qu'il croit ?

"Alors quoi ? Alors rien. La preuve juste que l’on vit tous dans un tunnel, conducteur de métro ou pas. À se lever tôt pour aller se jeter dans notre quotidien et gagner notre pain quotidien par un labeur quotidien, à rentrer crevés pour aller vivre un peu, allez, tout de même, c’est important la vie, la vie en rose, la vie en noir, c’est la vie, parfois même, dans la vie, on fait des enfants, on tombe amoureux — sans toi ma vie ne rime à rien —, n’allez pas croire, c’est fou ce qu’on arrive à faire quand on n’a le temps de ne rien faire. Le travail, divinité moderne à adorer sans s’arrêter au fait qu’il est censé nous apporter notre pitance, car le Travail, a dit le Président hier soir dans ses vœux, le Travail est une valeur, n’est-ce pas, une Valeur Fondamentale, pas comme l’oisiveté, n’est-ce pas, mère de tous les vices et de tous les emmerdements pour tous les gouvernements."

Ce qui est sûr, c'est que quelque chose a déraillé. Que plusieurs personnes ont "choisi, volontairement, spontanément, de dérailler." Fallait que ça arrive, hein, ça couvait. Plus, plus, plus !

"Une goutte d'eau, allez savoir laquelle, a fait déborder la coupe." Expression fatiguée, réinvestie ici, quelques pages plus loin, quand le refus de continuer la routine et le travail fait place à l'expression écrite, de tout et de rien. Certains s'improvisent scribes publiques, d'autres le font en solitaire.

"Et finalement c'est facile, il a des choses à dire, il ne savait pas ou avait peut-être oublié, mais maintenant tout se déverse, libérant des tonnes d'eau, de l'eau qui crouissait là depuis des années mais voyez donc : elle est claire et vive. Ne jamais désespérer de l'eau qui dort."

Et l'eau devient torrent.

Nathalie Peyrebonne signe un roman d'une fraîcheur incroyable. Parfaitement construit, le petit livre rouge est une utopie tonique, subversive dans la poésie des situations et des personnages. Placé sous le signe de Georges Darien et Ferdinand Lop et ses rêves farfelus, cet éloge de l'oisiveté et de la liberté est plus que recommandé, il est salvateur.

Signé Stéphane

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