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SERENDIPITY

Le Bon, la Brute et le Truand 2 : sur Trois mille chevaux vapeur d'Antonin Varenne - une lecture critique de Stéphane

2 Juillet 2014, 11:13am

Publié par Seren Dipity

Connu jusqu'ici pour ses polars aux éditions Viviane Hamy, Antonin Varenne passe chez Albin Michel pour un roman plus ample, aux allures de western, de roman d'aventures, de quête autant que d'enquête. Trois mille chevaux vapeur évoque, sans complexe, Dickens, Thoreau, Conrad, Fennimore Cooper, Washington Irving et tous les westerns que vous avez regardé dans l'émission La dernière séance si vous avez plus de 40 ans. Rien que ça.

Ca débute comme ça :

" _ Rooney ! Putain de fainéant d'Irlandais ! Pallacate !

Rooney se leva du banc, traversa la cour en traîannt des pieds et se planta devant le caporal.

_ La jument en peut plus, chef. Y a plus un canasson qui tient debout.

_ C'est toi qui en peux plus. En selle !"

Nous sommes en Birmanie, en 1852. Le voyage, le notre, se terminera en 1864. Celui de Rooney s'achèvera le jour de ce dialogue, à Pallacate, quand les os de son corps ne formeront plus qu'un tas désarticulé, aux pieds du sergent Bowman. C'est comme ça que le lecteur découvre Arthur Bowman, avec ce gamin et son corps qui s'écrase aux pieds du sergent, à peine pertubé par le spectacle.

Arthur Bowman est l'homme du livre. A peine un homme, à en croire certains. Dieu ou démon, il est increvable. Immortel, parce que pour mourir il faut croire en la mort, ou en avoir peur. Bowman ne croit pas en grand chose. Et en redoute encore moins. Un personnage fort, qui évolue énormément dans le roman et laisse une empreinte profonde sur le lecteur.

De l'épisode birman,  et de ses années comme soldat à la Compagnie des Indes Britaniques, Arthur reviendra pourtant brisé, détruit. Marqué autant à l'intérieur qu'à l'extérieur - et pourtant ses cicatrices sont affreuses. Alors que les combats tant attendus sont sur le point d'éclater, après des semaines d'attente pendant lesquelles les cadavres jetés par dessus bord semblent remplacer le décompte des jours, une mystérieuse mission l'envoie remonter un fleuve. Seulement dix hommes en reviendront, après un an de captivité ponctuée par la torture et la faim. Dix hommes brisés pour toujours, pour qui l'évocation de ce terrible épisode ne se fera que dans leurs cris nocturnes, quand l'alcool n'a pas réussi à étouffer la bête.

Le lecteur retrouve Bowman à Londres, pendant l'épisode de la Grande Puanteur, en 1858. Il est devenu policier et patrouille les rues alors que la ville sombre dans un été caniculaire, nauséeux et nauséabond. Entre laudanum, opium et alcool, Bowman essaie d'oublier et de survivre à l'horreur birmane.

La découverte d'un cadavre portant des sévices effroyables, et d'un mot laissé par le tueur ne laisse aucun doute pour Bowman : l'un des dix survivants reproduit ce qu'ils ont vécu en Birmanie. Trouvé inconscient sur place, Bowman est suspecté. Il n'a d'autres choix que de partir sur la trace des neuf autres survivants.

Cette (en)quête le mènera jusqu'au Nouveau Monde. A New York, à Dallas qui compte alors 600 habitants, et vers l'Ouest, jusqu'en Californie.

"Il s'allongea face au Pacifique. La dernière frontière. Un cul-de-sac. Au cours de sa première vie, Arthur s'était retrouvé de l'autre côté de cet océan. Il en avait fait le tour et le monde prenait fin."

Accompagné par son fidèle mustang qu'il nomme Walden en hommage à Thoreau qu'il lit, Bowman marche sur les pistes, comme d'autres remontent les fleuves pour découvrir l'horreur.

"Walden avançait doucement sur cette digue blanche, les oreilles couchées, pour laisser à Bowman le temps de contempler. L'image lui en rappelait d'autres. Des chantiers de construction en Inde, des Nègres en train d'élever un pont, des milliers de Jaunes creusant un canal, le chantier boueux du grand bassin de Millwall à Londres. Après la désolation de Reunion, la mine de sel s'ajoutait à une fresque dessinant le paysage intérieur d'Arthur Bowman."

Une fresque, c'est bien cela. Le tableau d'un monde en construction, le portrait d'un homme en reconstruction. On y croise des utopistes, un indien blanc, un prêcheur, des rêveurs chercheurs d'or ou éleveurs de chevaux, des mormons, et bien d'autres.

Dans l'entretien qui suit le livre audio, Antonin Varenne dit envisager un prolongement au roman (pas une suite). Qu'il ne se gêne pas ! Les romans de ce type sont trop rares. Sous ces allures de western, Trois mille chevaux vapeur rappelle ce que peut être le roman : le plaisir du récit. Direct, sans complexe et sans artifice littéraire inutile, Antonin Varenne est d'une efficacité redoutable, peaufinant son univers, travaillant ses personnages.

Coup de coeur de l'été !

Ecouté lu par Philippe Allard (bravo!)

Signé Stéphane

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