One for the road... : sur La Mauvaise pente de Chris Womersley - une lecture critique de Stéphane
Trois ans avant un superbe roman, Les Affligés ICI, Chris Womersley publiait un premier roman noir, course poursuite au ralenti, lente chute d'hommes déjà tombés bien bas. La Mauvaise pente (2014), The Low road (2007) en vo, ici dans une excellente traduction, comme d'habitude, de Valérie Malfoy. Récompensé par le prestigieux Ned Kelly Award en Australie.
Ca débute comme ça :
"Emergeant de profondeurs océaniques, Lee revint lentement à lui. Il lui semblait que c'était en rêve qu'il battait des paupières, face à ses genoux cagneux. La chambre se taisait, comme s'apprêtant à l'accueillir. Telle une grossière figurine d'argile, rigide, et très ancienne, il était couché dans ce lit, et il clignait des yeux."
Quand il se réveille, Lee est dans une chambre de motel, baignant dans son sang. Il a été blessé. Une femme lui a tiré dessus, on l'apprendra plus tard. Une valise contenant de l'argent est à côté de lui. De l'argent qui ne lui appartenait pas mais qu'il est bien décidé à garder.
Dans une autre chambre, un autre homme, Wild, est lui aussi blessé mais il ne le doit qu'à lui même. Ancien médecin, il ne peut plus pratiquer. Son addiction lui a fait tout perdre. Son métier, sa femme, sa fille. Sa vie. Il dérive. "Personne n'aime les camés. Même pas les camés eux-mêmes." Un procès l'attend mais il a préféré fuir. La gérante du motel l'emmène au chevet de Lee. Il doit le soigner. Bientôt, ils devront s'enfuir.
Ailleurs encore, un troisième homme, Josef, cherche Lee. Homme de main d'un truand, il a introduit Lee. Il est responsable. Il doit le trouver. Et ramener le pognon. Pas la peine de ramener Lee.
C'est sur cette base que Chris Womersley battit La Mauvaise pente. Le pitch n'est pas des plus originaux mais Chris Womersley connait son affaire.
"Si le langage sert à définir le monde, l'usage qu'ils en faisaient était à l'inverse : un moyen, non pas de décrire des choses, de les définir précisément, mais de les briser en morceaux plus incohérents. L'information n'était pas transmise mais chuchotée ou éparpillée dans des lieux improbables, très codée, truffée d'ambiguïté. Le monde était presque toujours approchée par la bande."
Ne nous y trompons pas, si cette description de la langue est celle des voyous, elle semble aussi s'adapter à la langue de Womersley. Lui aussi pratique le détour ou le format brut pour dire le monde, les personnages.
"Et, bien sûr, bien sûr, on perd le contrôle de son véhicule qui percute un arbre en pleine nuit. Accidents et meurtres, épidémies et terrorisme. La fragilité de l'être humain, ce sac de chair et de nerfs. Comment peut-on vivre jusqu'à un âge avancé ?"
Ce qui intéresse Womersley c'est le rapport entre les deux hommes, et leurs rapports au monde et leur passé.
"Disons qu'on a chacun de bonnes raisons de vouloir disparaître.
Lee réfléchit à cela. Mais pourquoi je dois te faire confiance ? Je ne te connais même pas.
Parce que tu fais confiance à ceux que tu connais ?"
Chris Womersley prend son temps et parvient à donner corps à ce récit d'une chute au ralenti, la chute de deux hommes hantés par leur passé, qui ne se font plus beaucoup d'illusion sur leur avenir et dont les velléités de continuer ne sont motivés que par l'ombre du tueur Josef sur leurs traces. L'écriture de Womersley est sèche, parfois abrupte mais particulièrement efficace dans les descriptions. Un auteur à l'univers singulier est né. Les Affligés est venu confirmer ce talent.
Signé Stéphane