Banlieue rouge : sur Les noirs et les rouges d'Alberto Garlini - une lecture critique de Jean Philippe
En 1968, à Rome, Stefano Guerra, un jeune fasciste, tue accidentellement une jeune militant communiste. Le problème c'est qu'il tombe également amoureux de sa sœur.
À partir de cette trame, Alberto Garlini dresse le portrait d'une époque, « les années de plombs », qui a opposé violemment fascistes et communistes de la fin des années 60 à la fin des années 80 et qui ont été marquées par de nombreux attentats sanglants. L'auteur se concentre sur une courte période de 1968 à 1971 en épousant le point de vue d'un jeune militant fasciste. Il décortique les arcanes du mouvement fasciste italien, son fonctionnement trouble (et parfois absurde) et ses ramifications jusque dans le gouvernement italien. Il dresse aussi le portrait d'une Italie qui n'a pas le fait le deuil de Mussolini, et dont les blessures du passé sont encore loin d'être cicatrisées.
Mais le roman de Garlini n'est pas une œuvre politique, en introduction l'auteur écrit quelques lignes où il précise que « les événement historiques... peuvent fournir le point de départ à un récit qu'un écrivain développera de façon autonome, s'inspirant de la réalité, s'en écartant en même temps... », tout ça pour dire que le lecteur va se plonger dans une œuvre romanesque, pas besoin de connaître le contexte politique de l'Italie à cette période pour être emporté dans cette fresque faite d'amour, de violence et de trahison. Garlini se révèle être un conteur hors pair et nous emporte sans jamais nous lâcher pendant plus de 600 pages, entre fascination, malaise et émotion.
On suit donc le destin tragique de Stefano, sa montée dans les réseaux fascistes étant raconté en parallèle avec son histoire d'amour passionnel avec Antonella. La relation entre les deux jeunes amants donne lieu à des passages éblouissants, dans ces moments l'écriture de Garlini se fait poétique en opposition avec la brutalité et la trivialité du quotidien de Stefano.
Au fil des pages le roman révèle une densité et une richesse incroyable, multipliant les personnages sans jamais nous perdre, et enchaînant les moments saisissants, l'horreur (scène d'attentat et de règlement de comptes), la passion (la seconde rencontre entre Stefano et Antonella dans un chalet en Autriche), le récit devenant épique à certains passages (la fuite en Afghanistan et le final magistral en Argentine). La capacité de Garlini a donner de la substance aux moindres personnages est stupéfiante, en atteste les passages où Stefano est confronté à deux douaniers aux intentions troubles, que l'on dirait tout droit sorti d'un roman de Kafka.
On peut dire que Les noirs et les rouges est un roman total, magistralement mené, passionnant de bout en bout et confirmant la grande vitalité de la littérature italienne contemporaine, bref à lire absolument.
Signé Jean Philippe