Le poids des mots, le choc des photos : sur Portrait d'après blessure d'Hélène Gestern - une lecture critique de Stéphane
Hélène Gestern a eu un beau succès avec son premier roman, Eux sur la photo (une photo, déjà) en 2011 et son second roman, La Part du feu, était finaliste du Prix Landerneau en 2013. Je le sais, j'avais voté pour. Elle revient aujourd'hui avec Portrait d'après blessure. Elle est fidèle aux éditions Arléa et est constante dans son talent. Ca a l'air de rien mais c'est déjà beaucoup*.
Ca débute comme ça :
"Je me souviens de mon corps qui lutte. Du contact d'un obstacle, de l'impossibilité de continuer, des muscles qui tirent, qui tirent, de l'escalier et de l'odeur, encore, qui infectait l'air tout autour de la bouche du métro."
Un homme et une femme se trouvent dans une rame de métro lors de l'explosion d'une bombe. Olivier parvient à sauver Héloïse en la sortant de là. Cet acte d'héroïsme, saisi par un photographe et immédiatement relayé par un magazine les envoie dans un autre attentat. Attentat à la pudeur étant déjà utilisé, disons, à l'intime.
Héloïse et Olivier ne sont pas amants, malgré les apparences, malgré l'intimité donc, qui semble régner entre eux sur la photo. Ils travaillent ensemble sur une émission (Histoires d'images) qui, ironiquement, interroge notre rapport aux photos et surtout la manière dont les personnes sur des clichés connus ont vécu cette exposition médiatique, cette célébrité malheureuse...
"C'est la honte que nous ayons tous deux été montrés ainsi, dans ce que nous avions de plus faillible et de plus démuni. Un photographe a fait de nous, par provision, les traîtres que nous n'étions pas. Son image a défloré, vendu, souillé à l'avance les mots que nous n'avons pas eu le temps de prononcer."
L'enquête s'oriente vers des extrémistes de gauche, et on retrouve d'ailleurs Guillermo Zorgen, militant d'extrême gauche, déjà évoqué dans La Part du feu. Hélène Gestern construirait-elle un univers? Elle en a les moyens. Nous verrons.
L'autre quête, c'est celle d'Héloïse et d'Olivier qui veulent reprendre possession de leurs vies après avoir péniblement repris possession de leurs corps meurtris. "Mais moi je ne veux pas, non, devenir celui qu'ils ont fabriqué." écrit Olivier. Quant à Héloïse, lorsqu'elle découvre tardivement le magazine derrière un meuble, elle croit d'abord à une revue pornographique cachée par son mari... "Découvrant ensuite ce dont il retournait, j'ai songé que je ne m'étais pas fondamentalement trompée, sauf que c'est d'un autre genre de pornographie qu'il s'agissait, et que, grâce à Scoop-Images, j'en étais devenue l'une des nouvelles étoiles."
Alors ils décident d'agir, de contrecarrer la surexposition, de combattre l' "hydre médiatique". Mais comment se bat-on contre un virus quand la pandémie a commencé?
"Nos efforts seront peut-être vains. Mais si nous ne tentons rien ensemble, nous allons devenir fous. Fous et seuls au milieu du gâchis de nos vies."
Hélène Gestern excelle encore une fois à dévoiler, avec une langue à la fois riche** et spartiate, tantôt tendre et tantôt violente, ce qu'elle appelle l' "implacable mécanique des relations humaines". Elle interroge également notre rapport aux médias, au déferlement quotidien d'images, à la déflagration internet.
Un très, très beau roman.
Signé Stéphane
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* On imagine sans mal les propositions d'autres éditeurs après les 40 000 exemplaires de Eux sur la photo.
** Je me souviens d'une conversation avec mon ancien patron qui, pour souligner la richesse de la langue de Julien Gracq, me disait qu'il y avait découvert moults mots qu'il ne connaissait pas et avait eu recours au Robert pour s'en sortir. Il y voyait là (en partie, soyons honnêtes) la qualité de la langue de Gracq. Avec beaucoup de malice, je lui avais rétorqué que s'il appréciait de tomber sur des mots qu'il ne connaissait pas, il n'avait qu'à lire en anglais - lui qui était aussi anglophone qu'anglophile...