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SERENDIPITY

Alive and kicking* : sur Quand j'étais vivant d'Estelle Nollet - une lecture critique de Cornélia et Stéphane

23 Février 2015, 14:50pm

Publié par Seren Dipity

Au milieu d’une rentrée de début d’année secouée par une actualité extraordinairement violente et monopolisée sur le plan littéraire par de houleux débats autour de grands noms, il me semble d’autant plus important de prêter une oreille attentive à des voix nouvelles. Parmi les talents émergents du moment, il faut citer à coup sûr Estelle Nollet qui nous emmène loin, très loin sous le soleil brûlant des terres africaines.

Pourtant son roman débute de façon déroutante : quatre personnages - deux adultes, un enfant et une éléphante - se retrouvent dans un non-lieu mystérieux, sorte d’antichambre du néant. Débute alors une séance de visionnage d’épisodes de leurs vies respectives. Tels des pièces d’un puzzle ces flash-backs s’imbriquent et donnent à voir des moments-clés de ces quatre existences dont l’on se rend compte progressivement à quel point elles sont liées.

Il y a là Harrison, le ranger blanc, désabusé et rancunier, qui s’avère porteur d’un double fardeau : profondément imprégné de son Afrique natale, il est héritier d’un ancien domaine colonial servant du temps de son père de réserve de chasse aux gros bestiaux à de riches européens en quête d’adrénaline et de triomphes prestigieux, transformé en réserve animalière. Il porte aussi en lui la blessure béante du deuil de sa femme, arrachée à la vie au cours cette guerre sans merci entre braconniers et défenseurs des animaux.

Puis il y a N'Dilo, l'homme noir, qui s’avère être le garçon qui a été l'âme-sœur du premier, son compagnon de jeu pendant leurs insouciantes années d’enfance au cœur de la réserve – jusqu’à ce que la cruauté du père de l’un (et les mécanismes sociaux et raciaux de cette fin d’époque colonialiste) livrent N'Dilo et sa mère à une vie de misère dont la seule issue s'avère être le braconnage.

Vient ensuite Juma, le garçonnet albinos, rescapé par la seule force de sa volonté au sort réservé à ces semblables dans la Tanzanie voisine et qui s'est lié d'une amitié très forte avec le ranger l'ayant pris sous sa protection.

Le quatrième personnage est Pearl, une éléphante issue de la réserve ; ses prises de parole donnent des aperçus surprenants et touchants de la vie sociale et des capacités intellectuelles de ces pachydermes condamnés à disparaître par la seule soif de profit des hommes.

Dire comment ces quatre destinées sont intimement liées, ce serait trop dévoiler de cette intrigue bien ficelée et très rythmée. Que tout cela finit dans un bain de sang par contre, Estelle Nollet le fait comprendre dès le départ, et cela n'ôte pas au lecteur l'envie de la suivre jusqu'au bout de cette tragédie. De sa plume sobre et efficace, elle emmène nos sensibilités blasées d'européens bien installées dans notre confort matériel et dans nos convictions bien-pensantes au cœur des drames humains et animaliers qui se jouent sur le sol africain, au vu et au su de tous et dans l'indifférence la plus totale. Mais Estelle Nollet ne pointe pas du doigt tel ou tel coupable, elle montre comment hommes et bêtes sont pris dans des spirales de violence et de destruction qui broient les plus faibles. Une vision sans fard d'une humanité qui malgré ses valeurs, ses bonnes intentions et sa capacité à aimer, est condamnée à détruire. Reste  que le livre est aussi un formidable roman d'aventures procurant un intense plaisir de lecture.

A découvrir sans tarder donc.

Signé Cornélia

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Cornélia a raison de faire de Quand j'étais vivant l'une des belles surprises de cette rentrée de l'hiver.

Ca débute comme ça :

" 'Harrison, j'ai peur.

- Peur de quoi ?

- Du noir.

- Tu as marché des centaines de kilomètres de nuit pour fuir ton pays, comment peux-tu avoir peur du noir maintenant ?

- C'est différent. Maintenant on est morts.

- Justement, qu'est-ce que tu crains ?' "

L'ouverture in ultimas res (après la fin) est peu courante, bien qu'à y réfléchir, elles soient à l'oeuvre et sous-entendue dans beaucoup de romans.  Quand j'étais vivant / "Maintenant on est morts." : voilà qui donne un sacré cadre à cette fabuleuse histoire d'amitié, de rédemption, de survie. Mais dévoiler que les personnages sont morts ne dit finalement rien. Ni de leur mort, ni de leur vie. Le lecteur n'est pas au bout de ses surprises. Et même au terme de ces vies et de ces morts, il en aura encore. Parce qu'Estelle Nollet sait le pouvoir d'une histoire bien racontée. De ces quatre morts, nous ne savons rien. Des massacres et des mutilations des éléphants et des albinos, nous ne savons rien. Du travail d'un ranger et de la lutte contre le braconnage, nous ne savons rien.

Si le recours à cette projection dans un non-lieu posthume peut sembler artificiel - alors qu'il ne l'est pas plus que le truc éculé du journal retrouvé planqué au fond d'une malle (et le Paradis? et mon cul, c'est du poulet ?) -, il permet de donner voix et corps à des personnages forts qui marquent le lecteur et construisent ce formidable puzzle de destins. Constitué d'épisodes marquants, servi par une écriture dynamique et efficace, Quand j'étais vivant fait vibrer cette Afrique qu'Estelle Nollet connait bien. Et le lecteur avec.

Alors oui, à découvrir.

Signé Stéphane

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* Simple Minds.

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