Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
SERENDIPITY

De la misanthropie comme art d'écrire : sur Délectations Moroses et Les Autres, c'est rien que des sales types de Jacques A. Bertrand - lecture critique de Stéphane

18 Août 2009, 09:00am

Publié par Seren Dipity

Amis fainéants, bonjour.

Les gros livres vous font peur. Vous n'aimez pas les romans. Mais vous aimez les mots, les styles. C'est déjà pas mal. On vous a trouvé quelque chose à lire.
Deux petits livres, rien que de la langue. Chantante, méchante et donc drôle.
Jacques A.Bertrand, Les autres, c'est rien que des sales types(Julliard)
Frédéric Schiffter, Délectations Moroses (Le Dilettante)

Si l'on m'avait dit, qu'un jour, Saint Augustin serait dans ce blog, j'aurais crié à l'hérésie. Comme quoi, on est jamais à l'abri.
Saint Augustin, donc, définit la delectatio morosa comme la "longue et complaisante rumination de pensées que l'âme devrait rejeter sitôt qu'elle en est effleurée".
Frédéric Schiffter lui s'y vautre avec plaisir :
"La morosité, un état entre tristesse et mauvaise humeur. Il m'en faut peu pour m'y plonger, beaucoup pour m'en sortir."
Ce petit livre délicieux comme un alcool fort est publié au Dilettante :
"Pourquoi le mot "dilettantisme" reste introuvable dans les dictionnaires de philosophie? Sans doute parce que ceux qui les rédigent ne soupçonnent même pas que pareil vice existe."
Méfiez-vous : ce type est dangereux :
"J'aurai réussi une oeuvre quand mon nom servira à désigner une pathologie mentale."
Heureusement personne ne le lit :
"Je voulais être un auteur pour les happy few. Les dieux m'ont écouté : d'après les statistiques, je suis le "philosophe" le moins lu de France." Ouf.
Rassurez-vous, il a beaucoup d'humour :

Si vous aimez les aphorismes qui secouent joliment façon Cioran, ce livre est pour vous. Si vous ne connaissez pas encore Cioran, courez chez votre libraire et commencez par là.
Quand vous serez au fond du gouffre, lisez Jacques Bertrand, ça vous fera du bien. Et souvenez-vous que Cioran se décrivait comme quelqu'un de jovial. Si, je vous jure.

Jacques André Bertrand aime les bêtes (voir Les sales bêtes). Les mots, surtout les bons. Et puis les hommes aussi un peu (voir J'aime pas les autres). Il le prouve une nouvelle fois dans Les autres, c'est rien que des sales types (Ed. Julliard - parution le 20 août)
En quelques pages et autant de trouvailles savoureuses (les déclinaisons des 'types' sont excellentes), Bertrand brosse le portrait de 20 arché-types. Presque au hasard, ça donne :
"Le Touriste est spécialement insupportable en groupe. Il rit très fort à de mauvaises plaisanteries. Il méprise l'autochtone dont il dénigre la nourriture "de sauvage". Il a grand tort. L'autochtone rit sous cape et rajoute du piment dans les plats : le Touriste en groupe attrape la tourista.
[...]
Le Touriste en solo ou en couple est beaucoup moins bruyant. Il affecte de trouver la nourriture indigène excellente. Il pose des tas de questions sur la faune et la flore locales. Les coutumes du coin l'enchantent. Tous les matins, il s'émerveille devant le paysage et glorifie les vertus du dépaysement. Il attrape tout de même la tourista."

Bertrand nous parle même de Schiffter, dans un chapitre intitulé le Philanthrope) :
"Le Misanthrope est un philanthrope qui s'est soigné. Déçu mais lucide, il est préoccupé par l'humanité. Il se fait du souci pour l'homme. Il ne confond pas le pipole et l'individu. Se contentant de son propre malheur, voire de son désespoir dont il tire parfois (selon Alfred de Musset) de très beaux chants, lui au moins ne s'occupe pas du bonheur des autres. Il n'emmerde personne. Rousseau l'avait bien compris, qui écrivait à son copain d'Alembert : "Il n'y a pas un homme de bien qui ne soit misanthrope.""
Pour finir avec les extraits (qui pourraient remplir des pages et des pages tant le livre est exquis), voici une petite remarque tiré du portrait du Commerçant :
"Il y a de la métaphysique dans le commerce. Dans le genre polémique sur la primauté de l'oeuf ou de la poule. Vend-on du vent parce qu'on en demande, ou en demande-t-on parce qu'on en vend?"
Appliquer ça à la librairie ou au culturel en général et ça vous fera réfléchir. Souvenez-vous par exemple qu'à l'époque du Top 50, certains 45 tours se vendaient plus parce qu'ils étaient dans le Top... Les bandes qui accompagnent aujourd'hui certains romans (DEJA 400 000 EXEMPLAIRES VENDUS) ne sont pas autre chose.
Pour revenir à Bertrand : si vous êtes Con, Touriste, Imbécile Heureux, Philanthrope, Parisien, Provincial, Agélaste, Conjoint, Commerçant, Psychorigide, Jeune, Voisin, Médecin, Malade, Saint, Pauvre, Végétarien, Enthousiaste, Lambda, Groupe... ce livre est pour vous.
Pour nous tous, donc.
Très bonnes lectures!

Signé Stéphane

Commenter cet article