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SERENDIPITY

All along the watchtower* : sur Freedom de Jonathan Franzen - une lecture critique de JP, Isa, Alex, Gal et Stef

11 Septembre 2011, 16:38pm

Publié par Seren Dipity

C'est l'un des titres les plus attendus de la rentrée 2011. Presque dix ans freedom.jpgaprès Les Corrections déjà saluées par la critique, Jonathan Franzen revient et frappe plus fort. Dans Serendipity, plusieurs lecteurs n'ont pas résisté. La plus rapide a été Isabelle. Jean-Philippe, lui aussi emballé, aurait dû suivre mais l'arrivée  d'un  bébé  a un peu bouleversé tout ça. Puisque nous allons parler d'un grand livre épique, profitons-en pour souhaiter la bienvenue à ce nouveau héros, au début de son odyssée : Ulysse, soit le bienvenu parmis nous!

 

J'imagine à quel point la lecture de ce livre a touché Jean-Philippe : ajouter un enfant à la population mondiale et surtout être parent sont deux thèmes au coeur de Freedom...

 

Donc, pour le moment, trois lectures de Freedom.

[EDIT : Jean-Philippe a laché les biberons pour se joindre à nous in extremis, donc 4 lectures...]

[EDIT2] : Gaélig souhaitait se joindre à nous et, en gentleman, je ne refuse rien à une bretonne...

 

    Pour résumer le livre d'une façon simple, c'est l'histoire d'un trio amoureux.
Patty, jeune basketteuse, tombe amoureuse d'un mauvais garçon Richard Katz. Seulement Richard, bien qu'attiré par la demoiselle, préfère multiplier les conquêtes. Elle trouve du réconfort aupès du colocataire de son aimé. Elle construit avec Walter Berglund une relation. Ils se marient, ont deux enfants. Patty s'investit dès lors à 110% dans son rôle de mère.
  Richard réapparait de temps à autre. En apparence tout semble aller merveilleusement bien. Mais il suffit d'un grain de sable pour que tout vacille.

 C'est vrai que raconté comme cela, ce n'est peut-être pas très intéressant. Mais Jonathan Franzen nous offre une véritable peinture de la société américaine de 1970 à 2010. Cette vision n'est pas manichéenne, elle est prfonde et pleine d'humanité. Elle fait que l'on n'a pas envie de lâcher ce roman de plus de 700 pages, qu'on pense qu'on lit trop vite...
  Les relations entre les personnages semblent tellement vraies et puissantes. L'auteur n'oublie en rien la situation politique, économique. Il dépeint la société sans pour autant nous faire un cours.
 On sort un peu sonné de ce roman. C'est peut-être bien ce qu'on demande à un livre, de nous permettre l'air de rien de réfléchir, de nous boulverser....

 Le Times a raison Jonathan Franzen est un très grand romancier. Pour moi, un romancier est celui qui sait raconter des histoires, celui qui vous fait réfléchir, qui vous fait avancer sans avoir l'air de vous donner des leçons. Et oui, Franzen est de ceux-là.

 

Signé Isabelle

 

__________

 

Vous avez lu des articles sur ce livre (ou non), vous avez entendu des critiques en parler (ou non), vous entrez dans une librairie et êtes impressionné par la pile gigantesque du nouveau Franzen. Vous le saisissez, le retournez, pensez qu'il est très beau, très épais (ou non) et son titre vous interpelle.
FREEDOM. Est-ce un manifeste ? Un de ces appels qui résonnent au coeur des révolutions arabes ? LIBERTE.
Il n'en est rien. S'il est question de liberté, celle-ci est à observer sous la_liberty.jpg torche de la Liberty Enlightening the World et par le prisme des "droits évoqués par le premier amendement". Pour preuve lorsque Walter se lance dans sa grande lutte contre la surpopulation mondiale, il ne trace pas les routes indiennes ou chinoises, mais celles des USA. De même le contexte historique est centré sur les Etats Unis, sa guerre en Irak (puis en Afghanistan), son traumatisme du 11 septembre, ses présidents (Bush, Clinton, Obama), ses visions du monde (républicaine ou démocrate)...
Plus qu'un tableau voici une fresque made in USA à travers l'anatomie d'une famille, les Berglund, sur trois (presque quatre) générations.
Quand un livre déborde de personnages il n'est pas inutile de se demander qui en est le principal. La magnifique couverture de Freedom est un parti pris par l'éditeur, trois oiseaux, trois personnages principaux. Patty, Walter son époux et Richard. Patty a été dans sa jeunesse une sportive dopée par la compétition. Walter est homme engagé dans la protection des oiseaux et hanté par la surpopulation mondiale. Richard est un musicien dont la carrière connaît des très haut et des très bas. Ce trio est scellé par l'amour, sous ses différentes formes, avec tout ce qu'implique l'amour.
Quand un livre traverse plusieurs générations il est inutile d'essayer de le résumer (notre trio est observé en amont et en aval). Pour compléter mon article, j'ajoute deux mots:
- Compromis, car les personnages de ce roman en font beaucoup;
- Héritage, car l'une des questions est de savoir que font les enfants des héritages, intellectuels, "psychogénéalogiques", écologiques, financiers... laissés par leurs parents.
Afin de conclure je formule un regret, l'absence d'un sommaire qui mettrait en lumière la construction très particulière de Freedom, pivot de la compréhension de cette OEUVRE.
 
Signé Alexandre

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Quand j'ai dit à Alexandre que j'écoutais et lisais Freedom, il m'a demandé comment je faisais pour passer de l'un à l'autre. Et si ça fonctionnait? Oui, la traduction est excellente et la fluidité de l'écriture permettait le passage de l'audio anglais à l'écrit anglais et parfois français. Ca a l'air de rien, mais ça fait déjà deux bons points : traduction et fluidité (pour un roman de 700 pages, ça compte). La traduction est assurée par Anne Wicke (traductrice de Toni Morrison, Rick Bass, Craig Davidson et Joseph O'Neill).

Les bons points, s'il fallait vraiment les nommer et les distribuer tous, on finirait avec une sacrée belle image - façon fresque murale de Thomas Hart Benton, ce peintre américain que j'aime tant (googlez-le). Avec trois oiseaux rares et protégés, comme sur la couverture.

Eh oui, tout ce que vous avez entendu ou lu d'élogieux sur Freedom est vrai : personnages, écriture, construction, intelligence, ampleur, etc.

  

Je ne sais plus si nous avons déjà parlé du GAN ici. Je chercherai (c'est ICI). Le GAN, c'est le Graal des lettres américaines : cette idée saugrenue que quelqu'un, un jour, puisse écrire le Grand Roman Américain (Great American Novel), celui qui embrasserait (à une lettre près**, on est dans une chanson de Public Enemy) toute l'Amérique. D'où les grands titres (le Times en tête), Franzen est-il un Great American Novelist?

Je ne sais pas... Ce qui est intéressant, je trouve, dans la Quête du Graal, c'est la Quête même, non?

 

Depuis ma lecture de JPod de Coupland, je google tout. J'ai googlé Franzen et dans un coin, j'ai trouvé ce terme qui m'a intrigué : "LITERARY MOVEMENT : hysterical realism". Intrigué (avouez qu'il y a de quoi, non?), je continue et j'apprends, ô merveille, que ce nouveau label a été inventé par un narratologue brillant, James Woods (pas l'acteur mais l'auteur de How Fiction works), à propos d'un grand roman que j'adore, Sourires de loup de_zadie.jpg Zadie Smith, pour désigner toute une bande de gais lurons contemporains qui explorent la société dans des romans souvent monumentaux. Bon, en réalité, dans la bouche de ce critique l'étiquette n'était pas très flatteuse et, si j'ai bien compris, son reproche est le manque d'humanité dans l'exploration des personnages. (En réalité, il évoquait beaucoup Don De Lillo et Pynchon, lisez-ici.)

Rassurez-vous, rien de tout ça ici. Les personnages sont incroyablement forts et évoluent beaucoup avec le passage du temps (avec cette linéarité sans cesse remuée, comme avec une mémoire capricieuse) qui est un des grands thèmes du roman, lié à cette idée d'héritage : grandir, devenir parent, transmettre, rater, essayer de bien faire, rater encore (rater mieux, comme dirait Beckett).

La construction, qu'Alexandre a raison de souligner tant elle est complice du lecteur et lui est parfois infidèle, joue avec le calendrier et les lieux, et vient se mêler au partage des rôles principaux parmi les personnages. Le long passage de l'autobiographie à la troisième personne de Patty, intitulé "Des erreus furent commises", est, à ce propos, un chef d'oeuvre et mérite à lui seul la lecture de ce grand roman.

 

Ca débute comme ça :
"Les nouvelles concernant Walter Berglund ne furent pas découvertes dans un quotidien local - Patty et lui étaient partis pour Washington deux ans plus tôt et ils ne signifiaient dorénavant plus rien pour St. Paul - mais la bonne société urbaine de Ramsey Hill n'était pas loyale à sa ville au point de ne pas lire le New York Times. Selon un long article vraiment peu flatteur de ce journal, Walter avait assez gravement mis en péril sa vie professionnelle dans la capitale du pays."

 

 Signé Stéphane

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Alors le voilà enfin le nouveau Jonathan Franzen, presque 9 ans après Les Corrections qui avait imposé son auteur comme un des grands écrivains américains de sa génération, Freedom débarque comme un des évènements de cette rentrée littéraire, chef-d'œuvre pour les uns, pavé indigeste et moraliste pour les autres.

Freedom est un drame familial, l'histoire de Patty et Walter, leur rencontre dans les années soixante dix, leur amitié avec Richard, leurs rapports compliqués avec leurs deux enfants, et la lente décrépitude de leur couple, le tout sur 720 pages.

En gros le roman est découpé en deux grosses parties, une première partie qui est le journal de thérapie de Patty raconté à la troisième personne, et une seconde partie plus longue qui alterne Richard, Walter et Joey (fils de Walter et Patty) comme personnage principal.

A travers le destin de ces personnages Franzen dresse le portrait de l'Amérique contemporaine, de ses espoirs, de ses drames, nous parle de la guerre en Irak, en Afghanistan, bref comme tout bon romancier américain qui se respecte mélange la grande et la petite histoire.

middlesexLe problème c'est que beaucoup d'écrivains l'ont fait ces dernières années et certains mieux que lui, je pense (pour n'en citer que deux) au Temps où nous chantions de Richard Powers et à Middlesex de Jeffrey Eugenides. Certaines parties ne sont pas très fines (l'opposition politique entre Walter et Joey) et trainent un peu en longueur (les nombreux détails sur les transactions de pièces détachées censées être revendues à l'armée américaine en Irak), et certains personnages sont horriblement caricaturaux, par exemple le personnage de Jenna, jeune fille dont tombe amoureux Joey.

Mais ces quelques réserves posées la lecture de Freedom est hautement recommandée.

Déjà pour le personnage de Patty, sorte d'Emma Bovary contemporaine, tour à tour attachante et insupportable. Elle est vraiment le corps du récit, tout est construit autour d'elle, Franzen réussit un grand personnage romanesque.

Et puis certains passages sont juste bouleversants, l'auteur réussit très bien à rendre passionnantes des choses anodines, des drames intimes du quotidien, je pense en particulier à la partie qui se passe à Nameless Lake.

Enfin il y a l'écriture de Franzen, à la fois simple, directe et élaborée, capable d'alterner les très longs dialogues, et les très longues phrases, jouant sur le rythme - par moment c'est vraiment étourdissant.

Et puis un roman qui cite «Youth against facism» de Sonic Youth ne peut être qu'un bon livre.

 

Signé Jean-Philippe. 

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Quand on en parle après l’avoir lu (avec délectation), on utilise nos mains en faisant de très grands gestes « C’est un grand roman, très riche, un grand roman à l’américaine, une peinture de l’Amérique des années 70 à aujourd’hui…»  et puis on réduit ces gestes pour utiliser nos doigts comme si on devait manipuler des choses très fragiles « Franzen gratte petit à petit et finalement profondément en allant chercher dans l’intime de ses personnages pour les rendre 110% humains, pour les peindre comme ils sont, ces gens lambda, comme nous comme vous, avec leurs joies de la vie, leur tristesse, leur faiblesse et leur force…

Je dis « on»  parce que je sais que beaucoup l’ont aimé, quelques-uns en donneront une critique plus mitigée que d’autres et pourquoi pas, ce roman n’est certainement pas parfait, on peut toujours y redire, mais dans l’ensemble, qu’est-ce qu’il nous procure? plaisir immense de lecture, sentiment d’immersion dans l’histoire, attachement aux personnages (même s’ils sont parfois agaçants) envie de le finir vite et à la fois de le faire durer…

Bref, je me lie aux milliers d’Américains et de Français l’ayant lu et aimé et je le recommande fortement!!!

 

Signé Gaëlig

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* Il fallait trouver un titre avec des résonnances possibles. Et un titre de Dylan, si possible, pour coller à la géographie du roman. Ou un de Dave Matthews Band, histoire de montrer à Franzen qu'il avait été injuste. Et un de Hendrix (bien que je ne me souvienne pas pourquoi). Alors All along the watchtower s'imposait (l'idée du guet et de cheminement): chanson de Dylan revisité et améliorée par Hendrix en 68 et magnifiée par DMB 30 ans plus tard :

 http://www.youtube.com/watch?v=DwzTDcRBGTM Central Park 2003

http://www.youtube.com/watch?v=Yam6mrCCvD4 Woodstock 99

 

"Par hasard, Walter venait de la ville où Bob Dylan avait grandi et tout commença comme ça. [...] Il déclara que puisque Bob Dylan était un magnifique connard, le genre de beau et parfait connard qui donnait envie à un jeune musicien de devenir lui-même un magnifique connard, il avait toujours imaginé que Hibbing était un mid à connards."
Les deux amis ont, dans leur jeunesse, une fascination prémonitoire pour le film Don't look back.
 
"Excuse-moi, dit Patty. Tu me rappelles ce qui ne va pas avec Dave Matthews?
_ En fait tout, sauf la compétence technique, dit Walter."
** Comme le remarquait Nabokov, la différence entre le comique et le cosmique "ne tient qu’à une seule consonne sifflante".
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