Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
SERENDIPITY

Devil in her heart* : sur Pike de Benjamin Whitmer - une lecture critique d'Alexandre, Pierre et Stéphane

22 Septembre 2012, 09:58am

Publié par Seren Dipity

         Lorsque Gallmeister vous annonce sur un bandeau du "noir dans toute sa splendeur", il ne faut pas s'attendre à être trompé sur la marchandise. Cette "jeune" maison d'édition (crée en 2006), spécialisée en littérature américaine compte dans son catalogue une collection poche, "Totem", et trois collections grands formats "Nature Writing",  "Americana", "Noire". Pike, le premier roman Benjamin Whitmer est catalogué, on s'en douterait, dans la troisième, aux côtés de Edward Abbey, Craig Johnson, William G.Tapply, Jim Tenuto et Trevanian.

        Un premier roman a parfois tendance à refroidir le lectorat. On se souviendra pourtant que les éditions Gallmeister ont eu le génie de publier le très, très fameux Sukkwan Island, oeuvre numéro 1 d'un dénommé David Vann. Roman qui non content d'avoir été un véritable succés éditorial fut récompensé en 2010 par le Prix Médicis étranger. Notons que David Van a mis dix années à réussir à publier son livre aux États-Unis, tiré à 800 exemplaires et qu'il aura fallu attendre la générosité des lecteurs français pour qu'il soit enfin reconnu sans son pays d'origine. Ceci dit, mon propos ne cherche aucunement à comparer Pike et Sukkwan Island. Quoique.

        Si Pike devait être comparé ce serait éventuellement avec l'ambiance (et non la trame de l'intrigue) de la sublissime série Breaking Bad [cet article commence à saturer en superlatif cela risque de nuire à sa crédibilité...] Série diffusée en France sur ARTE à l'ambiance irrémédiablement malsaine.

 

        Pike est un ancien truand, fumeur de Pall Mall, amateur de citations, tourmenté par son passé et hanté par ses fantasmes. Depuis qu'il s'est rangé il vit de petits boulots avec son ami Rory, un jeune boxeur, tout aussi tourmenté que son comparse qui, dans l'idéal, n'aime se battre que sur le ring.

        Lorsque sa fille Sarah meurt d'une overdose, Pike se retrouve chargé de s'occuper de sa petite fille. Wendy a douze ans et se montre immédiatement sauvages et réticentes. Wendy et Pike partage au moins une passion commune, les livres.

        Pike a beau avoir "perdu de vu" sa fille depuis des années, il n'est pas le genre d'homme qui se satisfait de la première explication venue. Surtout quand il apprend que Derrick Krieger, un ripou brutal, manifeste quelques intérêts pour sa jeune protégée. Alors, quelles ont été les vrais circonstances du décès de Sarah et quels sont les liens entre la défunte et le flic ? Pike et Rory parte en chasse pour en apprendre un peu plus dans une ville récemment agitée par des émeutes, Cincinnati.

 

        Plus que noir, le décor de Pike est crade. Tout est crade du ciel aux immeubles, des squats de junkies aux repères à prostitués, des motels pourris aux passés des personnages. Tout n'est que vomi, pisse, odeurs pestilentielles, sang. Le seul élément qui pourrait être d'une blancheur immaculée, serait la neige qui tombe sur la ville puante et là encore, c'est raté.

        « Momifiés dans leurs combinaisons de ski, deux tout jeunes enfants jouent dans la neige gris charbon devant la petite maison. Le ciel au-dessus d'eux semble un immense vomi répandu sur la ville. »

        « Le motel est un infâme trou à rats juste à la sortie d'Hamilton. Dix chambres bleu poudre entourant un cul-de-sac pavé, maculé de chiures d'oiseaux, avec la neige qui fond en coulures crasseuses le long des petites allées. »

 

Signé Alexandre

 

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤     

Un vieux truand amateur de livres et de citations est de retour dans sa ville natale, Cincinnati. Avec son comparse le boxeur poète, il vit de petits boulots. Mais son passé le rattrape, en l'occurrence sa fille qu'il n'a pas vue depuis 20 ans et qui  vient de mourir d'une overdose, et lui lègue une petite fille, sa petite fille, âgée de douze ans.

 Pike.jpg

Mais un flic véreux, raciste et déclencheur d'émeutes, semble s'intéresser à cette enfant.

 

Notre vieux truand n'est pas un homme à laisser les choses se faire d'elle même, et il met tout en œuvre pour comprendre les liens entre cette homme et sa famille. Entre combat de boxe et vétérans du Vietnam complètement barrés, en passant par les junkies de la Cité des Sept Collines, c'est  l'histoire de cette homme et de sa quête, qui est racontée.

 

Les personnages au noir dans les bas-fonds de Cincinnati.

Pike, le vieux truand qui se débat entre sa conscience, ses  mauvais instinct, et un passé plus que sulfureux

Avec ses citations.

«Une nation ne se régénère que sur des monceaux de cadavre» Saint Juste

 et une autre, piquée à Hemingway «Une fois sobre ,faut toujours faire ce qu'on a dit quand on était bourré . C'est comme ça qu'on apprend a fermer sa gueule»

 

Une dernière,

«Pour les hommes qui voudraient l'océan mais sans le terrible grondement de toutes ses eaux»

Comme épitaphe sur la tombe de sa femme  «Ici ne pousse aucune foutue drogue, ici ne souffle aucune tempête».

Rory, le boxeur poète qui lui aussi fuit son passé «brûlant».

Derrick Krieger, le flic véreux, violent, raciste mais...

Wendy, l'enfant sauvage dévoreuse de livres.

Et des tordus à la pelle. Fu Manchu. Cotton. Pur et dur. Bogey et Wood Rondell.

 

Et aussi.

Reécouter «Working on the highway» et on se garde le riff du Boss en boucle et puis se calmer avec Wailon Jaillings.

Vite une «Pall Mall» qu'on allume avec un Zippo qui claque.

S'acheter une paire de Redwing loggers.

Gouter au Marker's Mark, mais faut pas en abuser.

Le pick up ford  1964, quelle caisse!

Des Bit O'honey, Miam Miam.

 

Une fin surprenante, en noir et blanc.

 

A mon humble avis .

Pike est un  roman noir, un vrai polar à l'américaine, tout y est, une  bonne histoire de truand, de flics véreux, de junkies, mais c'est surtout le coté sombre décrit avec une justesse de ton, et  sans  pathos, une description méticuleuse de ses villes américaines ultra-urbaines, sauvages  et glauques à souhait, avec son lots de fêlées en tout genre. Les personnages ont presque tous ce brin d'humanité qui nous fait croire au récit. Construit en chapitre court et punchy, le roman nous tient dès les premières lignes et l'on est vite pris par le rythme et l'histoire.

Un bon polar, un très bon polar.

 

Signé Pierre**

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

Après deux papiers sur Pike, je pense qu'il n'est pas nécessaire d'en rajouter. Les westerns noirs ne sont pas si courant, surtout de cette trempe.   

LISEZ Pike.Whitmer-copie-1.jpg

Pour une mythologie de la terre :

"Ici, on ne possède rien sans y mettre du sang."

Pour l'aventure humaine :

" Ça devient n'importe quoi, ce trip de hors-la-loi "

Pour les dialogues, qui cognent (tout cogne dans Pike, même les gosses et les donzelles) :

" 'Putain de bordel, je suis flic.

 'T'es flic, mon cul. T'es qu'un foutu putain de truand qui s'est trouvé un job de fonctionnaire."

Pour le sens du rythme (Pierre a raison de parler des chapitres, courts et puissants) :

" 'Avant, Jack avait des projets pour sa vie.

- Comme la plupart d'entre nous, dit Pike. Avant qu'on devienne ce qu'on est.

- Bon. C'est comme ça, alors. C'est une putain de tragédie du début à la fin, hein?' "

 

Ouais, une foutue tragédie noire, gluante et bestiale, et pourtant humaine.

Mais il y a l'Ouest, les grands espaces, la route - pour les méchants et les moins méchants (y a pas de gentils dans Pike)

"C'est comme ça qu'on réfléchit aux choses. Une main posée sur le volant, une bière coincée entre les cuisses et la voiture qui enchaîne les virages de montagne avec la fluidité du mercure. Boire et conduire, voilà peut-être la chose la plus importante au monde. C'est la réponse à cette haute sensation de solitude que rien ne pourra évacuer, c'est la seule issue quand il n'y a plus d'issue." 

 



Signé Stéphane



Benjamin Whitmer, Pike, traduit par Jacques Mailhos - Ed. Gallmeister

_____________________________

* Titre choisi par Pierre. Sans ce jeu sur les chansons des Beatles, j'aurais utilisé une chanson tiré de Born in the USA de Springsteen, qui revient plusieurs fois dans le roman (l'action se situe au milieu des 80's, après la sortie donc de l'autre album Born du Boss - l'autre étant bien sûr, Born to run, qui conviendrait aussi)

Sans ce choix de Pierre, j'aurais mis Happiness is a warm gun.

** Merci aux libraires de Margon de m'avoir fait découvrir Gallmeister. J'en était encore à la série noire de Duhamel.

 

BENJAMIN WHITMER est né en 1972 et a grandi dans le sud de l'Ohio et au nord de l'État de New York. Il a publié des articles et des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne soit publié son premier roman, Pike, en 2010. Il vit aujourd’hui avec sa femme et ses deux enfants dans le Colorado, où il passe la plus grande partie de son temps libre en quête d'histoires locales, à hanter les librairies, les bureaux de tabac et les stands de tir des mauvais quartiers de Denver.  

Commenter cet article
W
Yeah you are right. He is a late bloomer. He never received the kind of credit he deserved. Most of his early works were exceptional. But everything went unnoticed. I’m really excited to know about this new project. Keep updating.
Répondre
S
<br /> Pierre est reparti, aujourd'hui, avec deux Gallmeister. Et il vient d'ajouter la maison d'Oliver Gallmeister à ses maisons d'édition préférées, aux côtés de Liana Levi...<br /> <br /> <br /> Bonne lecture!<br />
Répondre