Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
SERENDIPITY

Carry that weight : sur A Propos de courage de Tim O'Brien - une lecture critique de Stéphane

9 Mai 2011, 22:46pm

Publié par Seren Dipity

Au départ je voulais mettre Martha my dear comme titre (à cause d'une Martha dans une des histoires du livre), et, en fait, c'est bien une autre chanson des Beatles qui s'impose. Le titre original de A Propos de courage est The Things they carried.9782351785119-a-propos-de-courage.jpg D'ailleurs, disons le d'emblée, c'est à mon sens, un des seuls reproches que l'on peut faire à la traduction. Le français n'aime pas les répétitions et l'anaphore de cette phrase "The things they carried..." ne revient pas aussi pesamment que dans le texte original... Et pourtant, "the things they carried" contient l'idée même du receuil : le matériel et l'immatériel, et cette litanie n'est bien sûr là que pour exprimer tout ce qui accablait ces hommes. La vie quotidienne (la vie? quelle vie?) des soldats américains englués (physiquement) dans le bourbier vietnamien et ce qui leur permet de vivre pendant et après cette guerre. Et c'est là toute la force du texte de O'Brien qui se met en scène, vingt ans après le conflit. Le lecteur est scotché, littéralement, par l'exploration du traumatisme finement orchestré par O'Brien.

"Ils portaient le bagage émotionnel  d'hommes qui sont susceptibles de mourir. Le chagrin, la terreur, l'amour, la nostalgie - tout cela etait intangible, mais ces choses intangibles avaient leur propre masse et leur gravité spécifique, elles vaient un poids tangible. Ils portaient des souvenirs honteux. Ils portaient en commun le secret d'une lâcheté à peine retenue, l'instinct de s'enfuir ou de se figer sur place ou de se cacher, et, d'une certaine manière c'était le plus lourd des fardeaux, parce qu'on ne pouvait jamais le poser à terre du fait qu'il exigeait un équilibre parfait et une posture parfaite. Ils portaient leur réputation. Ils portaient la plus grande peur du soldat, qui est la peur de rougir. Ces hommes tuaient et mouraient parce qu'ils auraient été gênés de ne pas le faire. C'est ce qui les avait conduits en premier lieu à la guerre, rien de positif, pas de rêve de gloire ou d'honneur, seulement éviter la honte du déshonneur. Ils mouraient pour ne pas mourir de honte."

Vingt ans après, ce qui reste, ce qu'ils ont emporté c'est la force des récits : la guerre passe par le récit. La parole, les histoires, les mythes sont la vie. Pendant et après, c'est ce qui tient les hommes et les empêche d'imploser. En arrivant vers la fin superbe de A Propos de courage, j'ai pensé à Springsteen (oui, je sais...) et je me suis souvenu de ce qui m'a fait aimé le bonhomme au départ : cette capacité à mêler le réel de ses histoires personnelles et parfois très intimes (ces courts récits qui servaient très souvent d'introductions, sur scène) et ses chansons, fictions d'une certaine réalité humaine. 

Car A Propos de courage offre une réflexion profonde sur l'importance et le sens des récits. Il joue en permanence sur la véracité du récit, des récits, et de leurs pouvoirs pour maintenir en vie - jusqu'au final où la puissance du récit joue et gagne sur la mort.

Ainsi, au deux tiers du roman, dans le chapitre "De la forme" :

"Il est temps d'être direct.

J'ai quarante-trois ans, c'est vrai, je suis maintenant écrivain, et il y a longtemps j'ai traversé la province de Kuang Ngai comme fantassin.

Presque tout le reste est inventé.

Mais ce n'est pas un jeu. C'est une question de forme. [...]

Je veux que vous ressentiez ce que j'ai ressenti. Je veux que vous sachiez pourquoi la vérité des récits est parfois plus vraie que la vérité des événements.

Voici la vérité des événements. J'ai été soldat. Il y a eu beaucoup de cadavres, de vrais cadavres avec de vrais visages, mais j'étais jeune alors et j'avais peur de les regarder. Maintenant, vingt ans plus tard, je me retrouve avec une responsabilité sans visage et un chagrin sans visage."

Prix du meilleur livre étranger en 1993, lors de sa première publication. Traduit par Jean-Yves Prate.

Tim O'Brien est l'auteur d'une dizaine de romans, tous épuisés aujourd'hui sauf Juillet, Juillet (Flammarion, 2004) et Si je meurs au combat : mettez-moi dans une boite et renvoyez-moi à la maison (13è Note Editions, 2011), également sur son expérience au Vietnam. Un autre titre a retenu mon attention : En attendant la fin du monde (10/18, 1992 - épuisé) dont le résumé est :

Un roman drôle et corrosif, qui raconte le destin d'un homme obsédé depuis l'enfance par la bombe atomique, et qui traverse avec beaucoup d'ironie l'histoire de l'Amérique de ces cinquante dernières années.

Dis, Arnaud, tu n'aurais pas ça dans ta bibliothèque des introuvables 10/18?

Signé Stéphane.

Commenter cet article