Cendrillon is back! : sur Le Système Victoria d'Eric Reinhardt - une lecture critique de Stéphane
C'est le mini buzz de Serendipity : déjà trois lecteurs pour ce roman très attendu d'Eric Reinhardt, Le Système Victoria (Ed. Stock). Sur les tables des librairies depuis une semaine, le roman a provoqué une petite discussion chez les membres du blog (et ça continue). Avant même de le lire, j'ai eu la chance d'en parler avec Eric Reinhardt himself puisqu'il est passé dans le Perche cet été (c'est un homme de goût, il aime le Perche - c'est déjà ça).
Puisqu'Alexandre a été le plus rapide à lire et à écrire, il sera le premier à avoir la parole.
Stéphane.
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Il la croise dans un centre commercial. N'ose pas lui parler. Troublé, il la suit, la désire, la suit toujours. Laisse de côté ses obligations familiales (époux de Sylvie et père de deux enfants) et finit par l'aborder. Elle s'appelle Victoria, DRH monde d'une multinationale de l'industrie chimique, une femme qui survole notre monde d'aéroport en aéroport pour restructurer, filialiser et remodeler les économies. Y compris dans ma petite Lorraine et ses vieilles usines. Lui, David Kolski architecte de métier est responsable de la maîtrise d'oeuvre* de la tour Uranus.
**Rajoutons que Victoria (Nikê dans la mythologie grecque) personnifie la victoire, représentée comme une divinité ailée portant une couronne de lauriers à la main.
Alexandre
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La littérature fait sa rentrée!
Ça y est! la littérature fait sa rentrée et nous allons donc enfin pouvoir conseiller les coups de cœur lus il y a quelques mois/semaines! Un vrai plaisir en perspective !
Contrairement à Stéphane, je n'ai aimé que des Frenchies pour le moment, il faut dire que j'ai retrouvé mes auteurs français fétiches...
Le premier dont je vais vous parler, c’est Eric Reinhardt.
Quatre ans après Cendrillon, qui nous avait fait l’effet d’un coup de poing, E. Reinhardt revient avec un roman éprouvant, peignant d’un œil aiguisé notre société capitaliste d’aujourd’hui à travers l’histoire d’amour passionnel d’un couple de quadra.
Il nous surprend encore en poussant ses recherches le plus loin possible, en nous bluffant, comme il l’avait fait sur le monde de la finance dans Cendrillon, sur les métiers de directeur de travaux, et celui de DRH.
Nous nous trouvons en plein dans le réel, et nous suivons une histoire complètement extrême non moins réaliste qui, puisque nous savons dès le départ que l’issue sera dramatique, nous fait froid dans le dos comme elle nous fascine.
Je vous recommande chaudement ce livre si vous voulez être secoué, pris dans les rouages d’une histoire sans pitié, et si vous voulez vous sentir happé par un livre de manière à ne jamais vouloir le lâcher!
Deux liens pour deux articles qui valent le coup d’œil : ICI et LA
Et si vous recherchez un poche, il y a toujours Cendrillon !
Gaélig
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Autant être honnête, j'ai failli abandonner après 300 pages. Et, je ne sais pas... Malgré tout, comme David Kolski, j'étais pris dans les filets de Victoria et c'est un système dont on ne sort pas. Ou pas vivant. Alors que j'avais décidé de stopper ma lecture, un passage me relance.
La question est : pourquoi? Pas forcément pourquoi continuer mais pourquoi avoir été tenté d'arrêter? Bizarrement, quand j'y réfléchis, je crois que la réponse est la même pour les deux questions : l'écriture. Alexandre m'avait prévenu : il avait été emballé, agacé, ennuyé. Lors de notre discussion, j'avais laissé entendre à Eric Reinhardt que mon ami avait eu des sentiments mitigés. Reinhardt m'a confié qu'il se doutait que les lectures seraient passionnées...
C'est évidemment le grand talent d'un auteur que de façonner son lecteur (c'est ce qu'Umberto Eco appelle le lecteur modèle) pendant sa lecture. Je disais que j'avais été pris dans les filets de Victoria, mais c'est bien ça. Le lecteur, comme le héros/narrateur Kolski, ne peut en sortir malgré des tentatives de désintoxication (Victoria est une drogue).
"[...] il était à ce point difficle pour elle-même de distinguer la femme intime de la femme de pouvoir; de l'exercice de son métier nécessitait à ce point de mêler le mental au technique, la sincérité au calcul, la vérité de l'être au mensonge de l'entreprise que ces deux pôles qu'elle fusionnait ne formaient plus qu'une seule et même entité : l'entité Victoria de Winter."
Victoria est DRH monde. Elle est la mondialisation même, invisible et partout, aveugle et éblouissement. Kolski, lui, est encré dans un réel qui l'étouffe, inlassablement :
"J'étais, pendant la journée, un esclave, et j'étais, plusieurs soirs par mois, une prostituée."
Avec ça, la tragédie, annoncée dès l'ouverture, n'a plus qu'à être servie par une écriture qui fouille et qui dissèque. Le style, donc, est au coeur du texte comme il l'est de l'incipit :
"J'ai préparé pendant trois heures la première phrase que j'ai osé lui dire : Victoria n'est pas une femme qu'un inconnu peut aborder sans qu'elle se sente insultée. L'amorce serait cruciale : je n'aurais que cette seule phrase, et un unique regard, pour obtenir d'elle me pardonne, et qu'elle s'immobilise."
Au final, pas un gros coup de coeur comme Gaélig, mais, tout de même, j'ai tout lu. Et lire intégralement un roman, au mois d'août, quand une centaine d'autres vout font de l'oeil, je vous garantis que c'est une réussite. L'écriture est, pour rester dans le domaine architectural, baroque : souci du détail, clair-obscur, volutes.
Comme le dit Alexandre, à vous de faire l'expérience Victoria. C'est comme le dit l'auteur une lecture passionnée.
Stéphane.