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SERENDIPITY

Cry baby cry... : sur Les Milles automnes de Jacob de Zoet de David Mitchell - une lecture critique de Stéphane

2 Février 2012, 10:32am

Publié par Seren Dipity

David-Mitchell-Les-mille-automnes-de-Jacob-de-Zoet5.jpgVoici donc le livre que David Mitchell évoquait dans l'interview qu'il nous avait accordé il y a quelques mois (ICI). Il le décrivait ainsi : "a Dutch-Japanese-Nagasaki-maritime-psychotropic nunnery-Enlightenment novel" - une formule qu'à l'époque, j'avais eu bien des difficultés à traduire. Aujourd'hui, après lecture du roman, la formule est beaucoup plus claire.

Jacob de Zoet est un jeune clerc qui a rejoint la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Ses compétences et son sérieux devraient redresser les comptes des finances de la Compagnie et lui assurer de rentrer au pays plus riche et plus apte à marier sa promise, embrassée une fois avant le départ... Ses compétences et son romantisme seront sa perte. Sur Dejima, près de Nagasaki, il découvre que cette île artificielle à l'autre bout du monde est gangrénée par la corruption, la roublardise et la suspicion.

Il fait la connaissance de deux personnages auxquels son destin va être lié. Orito Aibagawa, jeune sage-femme érudite et Uzaemon, un traducteur – car la langue est un barrage filtrant, une frontière supplémentaire : les étrangers ne sont pas autorisés à apprendre le japonais. On verra que Da-Zû-To (De Zoet) parviendra à franchir cette montagne là aussi.

Jacob de Zoet va tomber amoureux d'Orito mais rien ne passera comme prévu. Orito sera enlevée et envoyée dans le temple Shiranui où les femmes deviennent des esclaves sexuelles.  

Mais j'en dis déjà trop, car l'épais roman de David Mitchell fourmille de mille et une histoires, chaque personnage, même le plus insignifiant, ne passe jamais inaperçu.  Dès son entrée Jacob de Zoet est touchant par sa naïveté et son idéalisme, mis à rude épreuve dans un monde de brutes sans foi ni loi, de militaires aigris,  de docteur tonitruant, de traitres et j’en passe.

Et il faut savoir que j'ai lu ce roman passionnant et bouillonnant tout de suite après les lectures de sélection du prix Landerneau - autant dire après une cure intensive de romans français. Pour être gentil, disons que tous ces romans n'offraient pas autant de bonheur de lecture, d'ampleur et d'exotisme.

L’exotisme est d’abord dans la langue. Dejima, cette île artificielle du port de Nagasaki, relié par un pont « entre deux mondes », est le centre cosmopolite d’une galerie bigarrée de personnages. Et dans ce coin du monde des mille automnes, mille voix résonnent : de la poésie au détour des descriptions, des traductions pas toujours honnêtes, des militaires prussiens, des truands anglais, des japonais qui essaient, qui ratent, qui essaient encore, qui ratent encore, qui ratent mieux – comme dirait Beckett. Les voix du commerce, du cœur, de la tradition, de la peur, de la perfidie, des muscles zygomatiques. Toutes ces nuances se retrouvent dans la traduction exemplaire de Manuel Berri auquel l'auteur est attaché.

David Mitchell est un immense romancier qui sait doser tous les éléments d'une bonne fiction. Personnages, lieux, dialogues, émotions. Sur sept cent pages, il nous offre un roman d'amour jamais mièvre, un roman d'aventure jamais incroyable, un roman historique jamais barbant, et une vision subtile de cette rencontre incroyable entre l'orient et « ce barbare royaume des Lumières, l’Europe », alors que le monde bascule dans une ère nouvelle. Le roman débute en 1799 et lorsqu'il se clôt, en 1817, plus rien n'est pareil : nous sommes définitivement entrés dans l'ère industrielle et l’époque des guerres napoléoniennes – autant dire, un avant-goût d’une certaine mondialisation.

 

Les mille automnes de Jacob de Zoet, traduit de l'anglais par Manuel Berri, Editions de l'Olivier, janvier 2012, 704 pages.

 

Stéphane.

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C
<br /> C'est un peu court non??? une page validée par erreur?<br />
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