Dans ta face : sur Les Visages de Jesse Kellerman - une lecture critique de Stéphane
Il faisait parti des livres que je voulais lire cette année. Je voyais les clients partir avec et je me disais que j'étais manifestement en train de passer à côté de quelque chose. C'est l'une des angoisses du lecteur et du libraire: rater un bon livre. Ca arrive tous les jours, on le sait - de manière théorique : on sait que cela arrive forcément, sans avoir quel livre exactement on rate.
Plus le temps passait plus je savais que celui là, je le ratais. Et je pensais à cette sentence magnifique de Beckett :
"Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux."
Et Audiolib est venu me sauver. La sortie du roman en livre lu m'offrait la chance de rater mieux. Traduit par Julie Sibony et parfaitement lu par Hervé Bernard Omnès.
Le premier bon point du roman est son ouverture
"Au début, je me suis mal comporté. Je ne vais pas vous mentir, alors autant jouer cartes sur table dès maintenant : si j'aimerais croire que je me suis racheté par la suite, il ne fait aucun doute que mes intentions, du moins au début, ont manqué quelque peu de noblesse. Et encore, c'est un euphémisme."
Comme je l'ai déjà dit à maintes reprises, j'aime les débuts et les avertissements. Ici on a les deux, dans ce qu'on appelle un contrat de lecture. Attention lecteur, on cherche à te modeler (allusion/jeux de mots au Lecteur Modèle cher à Umberto Eco - lisez Lector in fabula)
Et Jesse Kellerman nous harponne dès le départ. Il s'y connait en art narratif, le bougre, en digne successeur du couple Jonathan et Faye Kellerman.
"Si je suis toujours en train d'écrire un roman policier - et je n'en suis pas si sûr -, j'imagine qu'on est arrivé à l'endroit du livre où je règle tous les détails qui restent en suspens et où je vous rassure sur le fait que justice a été rendue. Ceux d'entre vous qui attendaient une fin spectaculaire risquent d'être un peu déçus et je m'en excuse."
Il connait les sucreries qui plaisent aux lecteurs et les ficelles qui servent à le manipuler : c'est comme à Halloween, les enfants, tricks 'n' treats! Kellerman ne fait, effectivement, pas un roman policier dans la pure (j'ai failli écrire "pire") tradition. Alternant les récits de l'enquête (mené par Ethan, galeriste narcissique et gosse de riches rebelle) avec l'histoire de la famille Muller et de ses secrets (de 1847 à nos jours), le roman offre des variations de registres et de tons qui font des Visages est un excellent roman.
La conclusion s'impose : Ratez mieux!
Signé Stéphane.