Do you want to know a secret* : sur La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert de Joël Dicker - une lecture critique de Stéphane
Ce deuxième roman de Joël Dicker vient de recevoir le Grand Prix de l'Académie Française. Il est toujours en lice pour le Goncourt. Il vient d'entrer dans les meilleures ventes. Il est controversé suite à un article dans le Nouvel Obs où le critique (qui n'a pas fini le roman) va jusqu'à comparer Dicker à Musso pour certains aspects. Il est défendu par beaucoup de lecteurs lambda pour le plaisir pris en sa compagnie. Busnel s'est enflammé la semaine dernière.
J'ai commencé le roman la veille de l'attribution du prix. Honnêtement, le roman fonctionne tout de suite et la lecture est fluide. 670 pages et (presque) pas de longueur. Je pourrais citer quelques romans de 200 pages qui en ont... L'intrigue policière du roman participe évidemment à cette facilité de lecture. Umberto Eco le rappelait, c'est la plus ancienne et la plus universelle des intrigues, voyez le Sphinx. Mais La Vérité sur l'Affaire Quebert n'est pas juste un bon roman policier (ce qui est déjà pas mal), c'est aussi un livre sur l'écriture, le monde de l'édition, le marketting.
"Écrire, c'est être libre.
- [...] Vous êtes esclave de votre carrière, de vos idées, de vos succès. Vous êtes esclave de votre condition. Écrire, c'est être dépendant. De ceux qui vous lisent, ou ne vous lisent pas. La liberté, c'est de la foutue connerie! Personne n'est libre. J'ai une partie de votre liberté dans les mains, de même que les actionnaires de la compagnie ont une partie de la mienne dans les leurs."
Et sur la douce vie d'une petite bourgade américaine dans les années 70, dans la Nouvelle-Angleterre. Et, un peu, sur les États Unis aujourd'hui ("Le monde entier est en train de devenir un McDonalds"), avec en toile de fond les élections présidentielles de 2008.
"Pour gouverner l'Amérique, il faut des couilles. Et les éléphants ont des plus grosses couilles que les ânes, c'est comme ça, c'est génétique.
- Vous êtes édifiant, Roth. De toute façon, les démocrates ont déjà gagné la présidentielle. Votre merveilleuse guerre a été suffisamment impopulaire pour faire pencher la balance.
- [...] qui élira une femme ou un Noir à la tête du pays? Faites en bouquin. Un beau roman de science-fiction. Ce sera quoi la prochaine fois? Une lesbienne portoricaine et un chef indien?"
L'histoire, en quelques mots :
Après un énorme succès en librairie, le jeune Marcus Goldman profite de sa renommée et de son pognon. Il profite bien. Mais après quelques mois de relâche, il découvre l'horreur du vide : sa vie et les pages qui devraient constituer son nouveau roman restent à remplir.
"Voilà que moi qui, une année plus tôt, étais considéré comme la nouvelle étoile de la littérature de ce pays, j'étais désormais devenu le grand désespoir, la grande limace de l'édition nord-américaine. Leçon numéro deux : en dehors d'être éphémère, la gloire n'était pas sans conséquence."
Désespéré, il trouve refuge chez son viel ami et mentor, Harry Quebert, le célèbre écrivain. Aurora, en Nouvelle-Angleterre
"C'est une Amérique dans l'Amérique, où les habitants ne ferment pas leur porte à clé; un de ces endroits comme il n'en existe qu'en Nouvelle-Angleterre, si calme qu'on pense à l'abri de tout."
Toujours en panne d'écriture, il rentre à New York. Mais la découverte d'un corps dans le jardin de Harry Quebert ramène Marcus Goldman sur place, auprès de son ami.
Le corps est identifié : il s'agit de Nola Kellergan, la fille du pasteur d'Aurora, disparue en 1975. Rapidement, Marcus Goldman entreprend sa propre enquête pour prouver l'innocence de son vieil ami à qui il doit tant. Et, se faisant, peut-être un nouveau livre :
"Si l'enquête est terminée, c'est un récit authentique. Si elle ne l'est pas, on laisse le sujet ouvert ou alors vous suggérez la fin et c'est un roman. Juridiquement, c'est intouchable et pour les lecteurs, ça ne fait aucune différence. Et puis tant mieux si l'enquête n'est pas terminée : on pourra toujours faire un second tome. Quelle aubaine!"
Voilà, en gros, le début et le résumé de l'intrigue.
Ajoutez à ça, de très nombreux rebondissements (tous les personnages, pratiquement, sont, à un moment ou un autre, suspects), une histoire d'amour impossible et désespérée, un peu de perversion, des remords et des regrets, des bons conseils d'écrivain (le récit alterne enquête et 31 conseils du Maître Quebert)
Premier conseil (numéro 31, le compte à rebours est lancé) :
" 'Le premier chapitre, Marcus, est essentiel. Si les lecteurs ne l'aiment pas, ils ne liront pas le reste de votre livre.' "
Ca débute donc par un bon conseil que Joël Dicker s'est appliqué à respecter : La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert commence vite et bien. Et le roman tient la route, jusqu'au bout, réservant de nombreuses surprises pour le lecteur (et figurez-vous que le coupable n'est pas la plus belle!)
Alors? :
"Couper des arbres pour imprimer des torchons pareils, c'est criminel. Il n'y a proportionnellement pas assez de forêts pour le nombre de mauvais écrivains qui peuplent ce pays."
670 pages, ça fait beaucoup de papier. C'est vrai que les dialogues ne sont pas toujours excellents. Qu'il y a peut-être beaucoup de faux suspects et de faux coupables. Malgré tout...
670 pages, ça fait beaucoup de plaisir.
Signé Stéphane
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