Lorsque mon ami m' a rendu mon livre (Féroces infirmes retour des pays chaud), il se tenait assis dans un fauteuil. L'objet littéraire tournait et retournait entre ses mains respectueuses. Sa voix était calme et tout son être dégagé encore de la passion qui l'avait emporté sur ces territoires dont il revenait.
Je savais quand à moi depuis mon premier Tom Robbins (Une bien étrange attraction) que ce genre de lecture relevait de l'expérience presque psychédélique. Le terme n'est pas vain, la comparaison entre l'acide et Robbins pourrait sans doute être soutenue (j'ai expérimenté Robbins mais jamais l'acide, mon avis est que l'un est pour la littérature ce que l'autre est aux stupéfiants).
« C'était incroyable » dit mon ami.
Si je me permet d'introduire mon article par une anecdote c'est pour dissuader tout lecteur attaché à la littérature classique de pénétrer le dédale de comparaisons rocambolesques, de situations abracadabrantesques, de personnages survoltés, de scènes féeriques, accouchés par Tom Robbins.
Voilà comment les éditions Gallmeister présente l'un de ses auteurs de prédilection:
« Tom Robbins est peut être né en 1936 en Caroline du Nord mais rien n'est moins sûr. Considéré comme l'un des pères de la culture Pop et qualifié d'auteur le plus dangereux du monde il a écrit huit romans dont le célébrissime « Même les cow-girls ont du vague à l'âme » porté à l'écran par Gus Van Sant. Il vit près de Seattle. »
J'ai lu quelques part sur le net, je ne me souviens plus où, de même que je suis incapable d'authentifier comme véridique ma source, que Tom Robbins alterne études, voyages et écriture sur des cycles de cinq années. Qu'importe la véracité du fait rapporté, ce qui compte c'est de mettre en valeur deux autres caractéristiques des livres de Robbins : érudition, images d'ailleurs. Les paragraphes peuvent être tour à tour accès autour de propos scientifiques, philosophiques, ésotériques... qui servent et construisent l'intrigue. L'impatient devra se ménager une phrase incomprise, comme perdue ici, s'expliquera à la X ème pages et reprendra sa place dans le sujet. Ce qui rend parfois la lecture ardue et teste notre endurance intellectuel. L'ailleurs quand à lui signifie soit des lieux géographiques déterminés, soit des univers oniriques (d'où la féerie de certaines scènes).
Une autre de mes amis a réagi à un poste Facebook où j'utilisais le qualificatif dangereux. Pourquoi Robbins est-il l'auteur le plus dangereux du monde ? Parce que Tom Robbins use du verbe pour affûter une critique sociale acerbe et implacable. Parce qu'il fait du rire une arme contre ce grand théatre que sont nos sociétés. Son écriture est un carnaval où Robbins s'amuse avec fantaisie et mordant, des puissants et de nos addictions sociales. Addictions aux drogues, à l'argent, à la possession, aux religions, au sexe. Mais comme il ne saurait se contenter de la facilité des grands boulevards, Robbins emprunte des chemins parallèles, biscornus et chaotiques et chacun de ses livres est probablement un défi ou un pari sur la possibilité d'y parvenir.
« Permettez-moi également de lever une chope conviviale en l'honneur (…) d'une poignée d'amis qui m'ont assuré que je pouvais le faire, quand d'autres m'avertissaient que je ne pouvais pas, ou ne devrais pas, ou que je n'oserais jamais. »
B comme bière respecte à merveille les traditions littéraires de son concepteur. Voici donc une fable sur la boisson alcoolisée la plus ancienne et la plus consommée au monde. Pour ceux qui connaissent Robbins, pas de déception c'est un apéro très rafraîchissant. Pour les autres, à la vôtre.
Signé Alexandre
B comme bière, Tom Robbins**, Ed. Gallmeister, collection Totem, traduction François Happe.
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* Paul McCartney & Wings, mais ne chipotons pas, s'il vous plait. Le titre complet est : Picasso's last words (drink to me) ICI
** Tom Robbins est peut être né en 1936 en Caroline du Nord mais rien n'est moins sûr. Considéré comme l'un des pères de la culture Pop et qualifié d'auteur le plus dangeureux du monde il a écrit huit romans dont le célébrisime « Même les cow-girls ont du vague à l'âme » porté à l'écran par Gus Van Sant. Il vit près de Seattle.