Et pour quelques shillings de plus : sur Un Libraire en colère d'Emmanuel Delhomme - une lecture critique de Stéphane
C'est un western. L'homme s'avance au milieu d'un désert. Il est seul et, en face, ils sont nombreux et armés.
Ce n'est qu'une mauvaise imitation d'un excellent western. Le désert, ce sont les Champs-Elysées. Le "ILS" ce sont les centaines de badauds qui passent, chaque jour, devant son oasis. Ils sont armés, ça oui. D'un écran tactile dernier cri, et d'une indifférence à sa passion qui le rongent.
Emmanuel Delhomme est libraire. Il est en colère. Il nous explique pourquoi dans un petit livre de moins de 100 pages.
Un Libraire en colère, Ed L'Editeur.
Sa librairie s'appelle Livre Sterling. D'où le titre du billet (sic). On va parler d'argent mais pas seulement. S'il n'y avait que la chute des ventes, ça ne serait peut-être pas si grave...
Voici l'homme, la librairie et le livre :
Je ne l'ai jamais rencontré mais je le connais, l'ours. Il y a trois ans, j'étais tombé en admiration devant Chaos Calme et alors que je flannais sur internet j'étais tombé sur son coup d'éclat : mettre 30 exemplaires du formidable livre de Veronesi sur une table, dehors, avec cette pancarte annonçant "Je joue ma réputation de libraire sur ce livre." *
Plus de mille exemplaires plus tard, Delhomme a parfois du mal à continuer de jouer, tout court. Ses ennemis (récurrents dans le texte), ce sont les nouvelles technologies et l'indifférence - tout ce qui éloigne le promeneur lambda de découvrir la caverne de l'ours Ali Babba.
Je ne partage pas toutes ses colères. J'en comprends certaines. Je partage ses émotions qui naissent des rencontres et des remerciements des lecteurs.
Mais bon, je n'ai pas trente ans de librairie derrière moi. Je n'ai pas un loyer de 5000 euros et je ne vois pas plus de mille promeneurs passer devant mes livres, pressés et indifférents. Je ne partage pas son aversion pour les écrans (TV, téléphone, ordinateur, tablette) : souvenez-vous, j'ai un portable depuis un an maintenant (bon, ok, je m'en sers, dans 99% des cas, pour écouter des livres), nous sommes sur le net, ici et maintenant, et, pas plus tard qu'il y a trois jours, j'avais une tablette de lecture entre les mains.
Emmanuel Delhomme passe en revue son métier, ses journées, ses plaisirs et ses déceptions. Eloge du lecteur curieux par-ci, apologie du livre par-là, et autres billets : FAQ du visiteur, nostalgie du représentant passionné d'antan (y en a encore, peu, c'est vrai), surabondance des livres (l'air de rien, il en ajoute un), sens de la provoc (le commentaire qui accompagne le livre de Dantzig, Pourquoi lire, est "Pour être moins con").
A la lecture de ce petit texte, je me suis dit qu'Emmanuel Delhomme avait de quoi être en colère mais il n'a pas la pire situation du monde, non plus. Il est sur les Champs-Elysées et il est connu dans le métier. Il voit plusieurs milliers de personnes passer chaque jour devant sa porte. Sur le papier, franchement, ça fait un peu rêver, non? Qu'il aille faire un tour à Lisieux où deux libraires se battent avec une diffusion pas formidable et rêvent de voir deux cents personnes se refléter sur leur vitrine. Qu'il essaye de faire venir un auteur en dédicace à 150 kilomètres de Paris. Qu'il entende un représentant lui dire, "Ah non, ça c'est pas pour vous!" Chacun sa croix, hein.
Le métier est beau et noble, c'est vrai. Je ne sais pas où et quand le réseau du livre a péché, et quand et comment la société a perdu la goût de la lecture. Les happy few chers à Stendhal sont de plus en plus few, mais tant qu'il y en a...
Signé Stéphane
Bonus, un stage de dix jours chez Emmanuel Delhomme :
http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20091002.BIB4099/dans-la-peau-d-039-une-libraire.html
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* Dois-je l'avouer, mon fantasme, à moi, c'était de remplir un caddie de 200 exemplaires de La Route et de supprimer tout le reste du stock.