Helter skelter* : sur Cool de Don Winslow - une lecture critique de Stéphane
Aujourd'hui encore, j'ai dit à deux clients que Don Winslow (ICI pour Savages, LA pour L'Heure des gentlemen, ou encore LA pour Satori) restait ma plus belle découverte de ces dernières années. Résultat, deux Savages et un Cool (à quelqu'un qui avait, comme moi, adoré Savages). Bonne journée.
Cool, donc. En vo, The Kings of Cool. Il s'agit de la préquelle de Savages, la genèse du trio Ben/O/Chon. Si Savages commençait avec l'un des meilleurs incipit jamais lus, "Fuck you", Cool s'ouvre sur une belle variante que l'on doit à O (Ophelia) : "Fuck me".
Le roman s'ouvre avec une citation en exergue, tirée d'une chanson de Bruce Springsteen. Il m'aurait dédicacé le bouquin, s'était pareil. Il est fort ce Don.
"Lors d'un combat, Mama, Cain tua Abel
Et fut chassé à l'est d'Eden, Mama,
On naît à cette vie pour payer
Les péchés du passé d'un autre."
Bruce Springsteen, "Adam Raised a cain"
Vous racontez un bout de l'histoire (ou plutôt des histoires) de Cool n'aurait pas grand intérêt tant le suc est ailleurs.
Au risque de me répéter, Don Winslow se permet tout. Il a tout digéré et peut tout vous offrir, des personnages attachants et agaçants à la fois (eh ouais), des bribes d'histoires (et après?), des vagues et des couchers de soleil (et alors?), des trouvailles linguistiques (et en français?), des palimpsestes à la pelle (mais comment faire autrement?) et j'en passe.
Don Winslow en musique c'est une intro ravageuse, des riffs à vous rendre fou, des covers qui réinventent les originaux, un best-of pour les dialogues, un meddley aux enchaînements dynamités (306 chapitres) et un remix (par le DJ fou Winslow) - tout ça à la fois.
C'est jouissif parce que ça ne ressemble à rien.
Vous allez me dire, y en a pleins des livres qui ne ressemblent à rien, plus ou moins intentionnellement (de l'éditeur qui n'a pas compris que le plaisir du lecteur pouvait commencer par la couverture, jusqu'à l'écrivain qui n'a pas compris que le plaisir du lecteur devait dépasser la couverture - tiens, c'est marrant, dans les deux cas, je pourrais illustrer avec les dernières éditions Pocket de Marc Lévy), mais je m'égare.
Si vous n'avez pas encore lu Savages, je ne vous parle plus tant que ce n'est pas fait.
Pour les autres, je vous rassure tout de suite, Cool n'est pas juste une manière de se faire du pognon en surfant (évidemment!) sur l'adaptation de Savages par Oliver Stone. Et si Winslow se fait tout de même du pognon, il l'aura mériter, bien plus que d'autres... Cool est aussi bon que Savages. Il possède les mêmes qualités narratives : rythme, trouvailles stylistiques, humour ravageur, personnages hors normes, etc. Et au passage, Winslow s'offre le luxe de revisiter les 60's et les 70's hippies en les passant à la moulinette :
"Qu'est-il arrivé? répète Stan.
A nous?
Au pays? Qu'est-il arrivé lorsque ton enfance s'arrête à Dealey Plaza, à Memhis, dans la cuisine de l'Ambassador, ta conviction tes espoirs ta confiance gisant dans une flaque de sang encore une fois? Cinquante-cinq mille de tes frères morts au Vietnam, un million de Vienamiens aussi, des photos d'enfants brûlés au napalm en train de courir sur une chemin de terre, Kent State [...]
Qu'est-il arrivé? Altamont, Charlie Manson*, Sharon State, le Fils de Sam, Mark Chapman, nous avons vu un rêve se transformer en cauchemar nous avons vu love and peace, l'amour et la paix, se changer en guerre et violence sans fin, notre idéalisme en réalisme notre réalisme en cynisme notre cynisme en apathie notre apathie en égoïsme notre égoïsme en cupidité et puis la cupidité est devenue agréable et nous
Avons eu des bébés."
Notons ici le travail du traducteur, Freddy Michalski qui a bien du taf avec Winslow. Dans le paragraphe ci-dessus, trois notes de bas de page viennent expliciter les allusions et les références de Don Winslow. L'écriture de Winslow est percutante, riche et poétique dans la forme (mise en page, retour à la ligne, paranomases et autres jeux sur les sens/sons)
"Together, Ben and Chon make up a collective pacifist.
Ben is the paci.
Chon is the fist."
Devient
"Ensemble, Ben et Chon forment un collectif pacifiste, paix et poing en symbiose. Pax-pong, Pax la paix, Pong le poing.
Ben la paix.
Chon le poing."
Ou bien :
"The War on Drugs?
The Whore on Drugs."
"La Guerre de la Drogue?
La Garce Gueuse de la Drogue."
It's a gas, gas, gas, comme dirait Mick. Si vous voulez savoir ce qu'est devenu le rêve hippie des soixante-huitards, lisez Winslow.
"Tu crois qu'il y a du fric à se faire avec l'herbe? L'herbe, c'est pour les Juniors, la coke, c'est Wall Street. Le trip hippie est terminé : peace, love, tu te les fous au cul. Jimi : mort. Janis : morte. Désormais, c'est 'Sympathy For The Devil'."
Vous connaissez l'air-guitar où vous êtes le guitar-hero que vous avez toujours rêvé d'être (Jimmy Page? Jimi? John Frusciante?) avec ostentation et sans complexe; avec Winslow, découvrez le air-writing, vous pourrez être l'écrivain cool et décomplexé que vous avez toujours voulu être.
Signé Stéphane
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* le titre avait été choisi avant de tomber sur ce passage. Ça vient confirmer le choix.