L'histoire avec un H ou un h : sur HHhH de Laurent Binet - une lecture critique de Stéphane
Drôle de titre, drôle de livre.
Le titre renvoie au surnom de Reinhard Heydrich, chef d'Eichmann et bras droit d'Himmler : Himmlers Hirn heisst Heydrich / le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich. Heydrich qu'on surnomait aussi la "bête blonde", le "bourreau de Prague", l'"homme le plus dangereux du IIIè Reich".
Ca vient de sortir et c'est réellement étonnant : Laurent Binet, HHhH, Ed. Grasset.
Comment écrit-on l'Histoire se demande l'auteur. Comment couche-t-on sur papier, l'obsession d'une vie, des heures et des heures de lectures, de visites, de films? Laurent Binet écrit sur Heydrich et sur l'attentat dont il fut la cible à Prague en 1942. Et il écrit sur ce qu'il écrit. Cette métafiction et cette réflexion sur comment écrire l'histoire de l'Histoire est passionnante. Prof de français, il connaît les ficelles du roman : le terme générique -au sens de genre- figure sous le titre _ c'est, ici, plus qu'ailleurs, à souligner*.
Dès le départ, il nous offre un "contrat de lecture" (rappelez-vous, il est prof de français) et au fil du récit, ou plutôt des récits, il explique ses doutes, ses limites, ses scrupules, sa curiosité, son obsession pour le sujet qui empiète sur sa vie privée.
Et c'est là que le roman est surprenant : c'est un roman qui se méfie du roman.
Laurent Binet ose beaucoup de choses dans ce livre.
"Donc il y a au moins un point sur lequel les Tchèques et les Allemands semblent avoir été d'accord : Chamberlain et sa clique étaient de gros lèche-cul."
"Le sport, c'est quand même une belle saloperie fasciste."
"Soudain, j'y vois clair : Les Bienveillantes, c'est "Houellebecq chez les nazis", tout simplement." (lire la page 327, sur Littell)
Mais, contrairement à d'autres auteurs (qu'il cite parfois), il n'ose justement pas tout et refuse de sacrifier l'Histoire au roman, à la "vulgaire vraissemblance" et aux "servitudes du genre". Il a lu Barthes, celui-là, ai-je pensé, dès le début (ce qui est confirmé page 440)
"Ca fait déjà des années que je la fatigue avec mes théories sur le caractère puéril et ridicule de l'invention romanesque, héritage de mes lectures de jeunesse ("la marquise sortit à cinq heures", etc.) [...]" **
"Je ne sais pas encore si je vais 'visualiser' (c'est à dire inventer!) cette rencontre, ou non. Si je le fais, ce sera la preuve définitive que, décidément, la fiction ne respecte rien."
"Quel intérêt d'ailleurs, y aurait-il à 'inventer' du nazisme?"
HHhH possède à la fois ce ton ludique du romancier qui joue avec les codes (imaginez un Paul Auster avec de l'humour) et la passion retenue de l'historien -qu'il n'est pas d'ailleurs. Si Laurent Binet n'a pas voulu écrire un roman historique c'est parce qu'il respecte infiniment ces hommes avec qui il a si souvent combattu. Et si il questionne son récit c'est pour inviter le lecteur à faire de même.
Laurent Binet interrompt souvent son histoire : par ses lectures, par son présent... Et me voici le mimant puisque, me rappelant que nous sommes jeudi, je viens de découvrir dans le programme de La Grande Librairie que Laurent Binet était invité... Comme il pénètre son récit par endroit, le voici dans le mien?
Je vous avais prévenu : ce Laurent Binet est très fort. Méfiez-vous.
* encore une fois, voyez la polémique entre Haenel et Lanzmann autour du ROMAN Jan Karski.
** Encore notre marquise, ça faisait longtemps! (http://seren.dipity.over-blog.fr/article-28987244.html )
Signé Stéphane.