La diplomatie pour les Nuls : sur Le Front Russe de Jean-Claude Lalumière et Quai d'Orsay de Blain et Lanzac - une lecture critique de Stéphane
Autant l'avouer d'entrée de jeu, le titre m'a été inspiré par Jean-Claude Lalumière lui-même dans sa dédicace :
"Voyage au bout de l'enfance sur fond de diplomatie pour les nuls"
Et c'est bien ça : Le Front russe est le roman des illusions (perdues) et des aspirations (aspirées) d'un globe trotter en culottes courtes qui pensait réaliser ses rêves de voyages en intégrant le quai d'Orsay. Les très belles pages sur l'enfance forment un beau prélude au passage d'un Pierre Richard géographe dans le milieu de la diplomatie française.
"Enfant, je pouvais passer des heures à regarder le papier peint. Les murs du séjour de la maison de mes parents, recouverts d'un motif végétal rococo post-moderne Vénilia - collection 1972, produisaient des monstres du meilleur effet sur mon esprit si facilement impressionnable; j'avais tout juste huit ans."
Ainsi commence les aventures de notre héros dans un monde où Kazakhstan rime avec exotisme (ça ne rime pas, je sais.) Mais rien ne va se passer comme prévu pour notre héros. A cause d'un attaché-case encombrant offert par sa mère, qui va provoquer la chute d'un responsable, il se retrouve envoyé sur le Front Russe. Dans un placard pour ratés et brebis galeuses de la diplomatie, dans le XIIIè., un sous-service consacré au "pays en voie de création - section Europe de l'Est et Sibérie." Ca non plus ça ne rime pas avec exotisme.
Quand, enfin, il arrive à quitter la France c'est pour se retrouver à côté d'un retraité au passeport et au cynisme bien remplis :
"Il me raconta aussi qu'ils avaient pris l'habitude, lui et sa femme, de partir chaque année dans un pays victime d'une catastrophe.
'Cela permet de bénéficier de prix très bas, précisa-t-il. Nous avons fait New York en 2001, Bali en 2002 et Madrid après les attentats de la gare d'Atocha. Sans oublier la Thaïlande, en 2006, juste après le tsunami.'
Je n'osai rien répondre. J'imaginais l'album des photos de vacances de mon interlocuteur. Lui ou elle souriant au milieu des décombres. Le monde était en solde. C'était la loi du marché adaptée à la découverte de la planète."
Et de conclure : "J'avais l'impression d'être loin sans être ailleurs."
Si, comme moi, vous êtes plutôt voyageur immobile, jetez vous sur ce Front russe : c'est touchant, dépaysant, intelligent et très drôle.
Une nouvelle fois, Le Dilettante nous offre une de ces voix qu'ils ont le chic de dénicher. Ecoutez-la et embarquez!
La même semaine, j'ai lu la BD qui, dès sa sortie un peu avant l'été et durant toutes les vacances, a eu un beau succès. Quai d'Orsay de Christophe Blain et d'un acolyte qui a justement été membre de cabinet ministériel, Abel Lanzac (éditions Dargaud). Il sait de quoi il parle et il a plein d'histoires à raconter... Arthur Vlaminck (le double de Lanzac dans l'album) est embauché pour travailler les discours du ministre des Affaires Etrangères, Alexandre Taillard de Worms. Si le nom et le personnage vous rappellent Dominique de Villepin, ça tombe bien.
L'univers de l'album et du ministère sont à l'image de la couverture : puissant et demesuré. Taillard de Worms est une tornade, omniprésent et hyperactif, et certaines planches sont brillantes pour leur rendu de l'effervescence qui règne au Quai d'Orsay. Une effervescence qui n'empêche pas ni l'efficacité à règler des crises ni des moments drôles, principalement dûs à la mégalomanie de Taillard de Worms. Le pauvre Arthur Vlaminck passe son temps à s'arracher les cheveux... Quel voyage!
Signé Stéphane.