La festa du roman italien : sur La Fête du Siècle de Niccolo Ammaniti et Terrain vague de Veronesi - une lecture critique de Stéphane
L'an dernier est sorti le nouveau roman de Veronesi. Mais j'avais été partiellement déçu de ne pas revivre un tel bonheur de lecture provoqué par Chaos Calme. J'avais, malgré tout, commencé un papier que je n'ai jamais réussi à finir.
Voici ce que j'avais écrit :
Après Chaos Calme, j'attendais le nouveau Veronesi avec impatience. Trop sans doute. Il y a parfois plus de plaisir dans l'attente que dans la consomation (et je ne parle pas que de la Guiness, la bière qui doit être servie avec une lenteur extrême)
Terrain Vague vient de sortir, toujours chez Grasset et toujours traduit par Dominique Vittoz. Pour ceux qui n'auraient pas encore lu Chaos Calme, ils n'ont plus aucune excuse puisqu'il existe maintenant en poche (aucune excuse avant non plus, remarquez : les bibliothèques existent)
Terrain Vague est un très bon roman, bien construit et très bien écrit mais je ne sais pas... Je n'ai pas été emporté par la vague comme avec Chaos Calme, malgré un début presque aussi remarquable.
Et voilà. Une ébauche, hein - malgré une lecture exhaustive, mais le coeur n'y était pas vraiment.
Lorsque le nouveau Niccolo Ammaniti est sorti, je crois que j'ai eu un peu peur d'être de nouveau déçu mais ça ne m'a pas empêché de sauter dessus. La Fête du Siècle ne déçoit pas. Même si Ammaniti quitte l'adolescence et la fin d'une certaine innocence, thèmes qui lui sont chers (et qui sont, sans doute, les thèmes qui me touchent le plus en cinoche et fiction), on retrouve dans La Fête du Siècle quelques traits de l'univers d'Ammaniti : une généreuse galerie de personnages riche et fouillée, un regard grinçant sur l'Italie (d'en haut, cette fois-ci *), beaucoup d'humour, et un goût certain pour les fins du monde qu'il sait orchestrer avec maestria (aucun lecteur de Comme Dieu le veut n'aura oublié la scène du déluge. )
La Fête du siècle en question, c'est celle organisée par un magnat de l'immobilier au passé plus ou moins louche et mafieux. Elle sera pharaonique, hollywoodienne. Ou davantage, du genre VVIP (very very important peooople). Tout le gratin italien y sera. Footballeurs et leur épouses écervelées, acteurs, vedettes TV, etc.
Et Fabrizio Ciba, écrivain vedette de la télé, qui n'a rien publié depuis trois ans et n'avance plus dans l'écriture de son oeuvre.
Et Loretta ex-gothique devenue star de la pop.
Et les quatre membres d'une secte sataniste minable, Les Enragés d'Abaddon, bien décidés à profiter de la fête pour entrer dans la légende en sacrifiant la traîtresse Loretta...
Dès que tous les personnages sont présentés, que tout est là, en place (la première partie s'appelle, très justement Genèse - avant la descente aux Enfers finale)... alors, comme l'indique le titre italien Che la festa cominci!
Niccolo Amanitti ne recule devant rien (d'ailleurs, je crois que c'est l'une des qualités du roman italien, cette absence de retenue, cette liberté hypercritique**) et l'outrance du récit n'est que le miroir de cette société bling-bling, mégalomane, imbue de son image et en quête permanente du fameux quart d'heure de gloire.
Ecrivain étiqueté "Cannibale" à ses débuts (cette école, ce mouvement n'était qu'un truc éditorial; Ammaniti refuse le label) Ammaniti dit qu'il a simplement voulu faire une comédie, et un portrait de Rome et des gens qui comptent. Mais c'est le grand écart de la société consumériste qui fait l'histoire : de l'abondance des uns aux rêves et désirs des autres.
Gilles Pécout (historien de l'Italie) explique le phénomène par le fossé entre l'Italie unitaire comme état et les italiens eux-mêmes qui n'ont pas d'unité (écoutez l'émission 'Partir avec' d'Inter, avec Ammaniti ici )
Je ne pense pas avoir été suffisamment clair so far : La Fête du Siècle est un grand roman et une lecture jubilatoire tant Ammaniti sait tout faire. Il évoque d'ailleurs, par la voix d'un de ces doubles-écrivains, le Grand Roman Italien : en référence, sans doute, au GAN (Great American Novel, fantasme mythique des lettres américaines censé contenir toute l'Amérique in a nutshell.)
Est-ce que La Fête du siècle pourrait être ce mégaroman? Je ne sais pas. Par contre Niccolo Ammaniti est définitivement un grand romancier italien.
Signé Stéphane
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* Voir ses romans précédents : Comme Dieu le veut, Je n'ai pas peur, Et je t'emmène
** on en reparlera bientôt avec Silvia Avallone et son formidable premier roman, D'Acier.