Little child : sur Le Singe noir de Zakhar Prilepine - une lecture critique de Pierre
Moscou, au mois d'août, sous une canicule de plomb, un journaliste un peu barré s'intéresse à un phénomène peu relaté dans nos journaux, la violence extrême des enfants.
Un immeuble entier détruit par une bande d’ados, des enfants dans un laboratoire secret du Kremlin. Voilà le fond de l'histoire.
Le narrateur entremêle ses souvenirs personnels et ses angoisses. Les événements vont s'entrechoquer entre sa vie privée, sa femme, une prostituée ramassée sur la place rouge, sa maîtresse et ses anciens amis.
Au cours de cette enquête, on va découvrir:
L'histoire de ces bandes d'enfants qui sont entraînés à tuer.
Un constat affligeant sur l'ancienne armée russe, ces bizutages, ses codes barbares.
Les aventures d'un enfant soldat africain.
Le siège d'une ville médiévale par une horde d'enfants.
Et la folie de cet homme qui se bat avec ses démons.
Extraits.
« Où s’arrête la raison et où commence la folie ? Quand la résignation fait-elle d’un saint un pauvre type? Et quand la révolte fait-elle d’un héros national un psychopathe paroxystique ? »
« Les hommes ne ressentent pas la honte, si personne ne les voit, ils ne ressentent pas la moindre honte »
« Et la seule chose dont, au Moyen Âge, on pouvait se moquer, c’était de la tendresse humaine, lorsqu’on donnait à un proche un second prénom, retourné à l’envers, comme une moufle très chaude qui sent la main d’enfant, […] les boules de neige, dans la neige de janvier, qui plus jamais ne tombera sur nos terres. »
« Dans l’Empire romain, on enrôlait les jeunes à dix-sept ans. Et c’est normal. C’est l’âge idéal pour tuer et pour mourir. Le mieux, c’est de commencer encore plus tôt »
« Le Seigneur n’est pas en droit de confier à un homme souillé par les péchés d’exterminer la fourmilière humaine. Eux seuls le peuvent, les innocents, qui n’ont pas goûté au fruit défendu, et qui sont totalement dénués de pitié »
Les personnages.
Le narrateur, journaliste moscovite dépravé.
Le mystérieux Charov, ancien ami, devenu homme politique influent.
Le sous-chef «écrivain raté» Slatitslev.
Platon Anatolievitch, le médecin fou, peut-être.
Maximee Milaiev, employée du laboratoire, asile pour enfants.
La femme du narrateur qui le quitte.
La maîtresse Alia, ange ou démon.
La prostituée Oksana assassinée.
Le «Seigneur voit tout», chef des enfants soldats africains.
Angelina, la femme blanche qui voulait adopter un enfant noir.
Versissaiev le soldat martyrisé.
Le chef Philiptchenko, petit chef malsain.
Et aussi
Voir Kniajoie ou Velemir (impossibles à trouver sur une carte ?!!)
Acheter des graines de tournesol.
Gouter au pelmeni. (Attention à l'indigestion).
La gare Iaroslav à Moscou. (La nuit c'est quelque chose).
Le métro moscovite (un musée à lui tout seul).
Comprendre le fonctionnement et les codes de l'armée russe, les doukhs, les dembelis, les dedis.
Pourquoi les russes «pèsent »leur vodka?
Faire un thé dans un vrai samovar.
A mon humble avis.
Le singe noir est un roman dur sur un sujet difficile -la violence infantile-, mais Prilepine parvient, en construisant son roman en plusieurs récits entremêlés, à donner un certain rythme. Certes ce n'est pas un livre facile à lire et les intrigues vont dans des sens différents à chaque fois, mais c'est tout l'art de cet écrivain que de nous donner envie de continuer, de nous captiver.
En clair, c'est un livre violent, inquiétant, sombre, trouble, à la limite du malsain, mais avec un style efficace - à lire vraiment.
Signé Pierre