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SERENDIPITY

Nos amis les blockbusters... : sur AG, ML et DB

3 Novembre 2009, 21:09pm

Publié par Seren Dipity

Vous connaissez cette idée selon laquelle ce qui se vend bien est commercial et donc, implicitement, de mauvaise qualité. C'est bizarre, non? Et terrifiant aussi : la masse est vraiment con, alors?
Voyons ce qui se passe.

Le mois de décembre est le mois des cadeaux. Certains ne se prendront pas le chou : "Tiens, y a une pile de coffrets avec un pov' livre de cuisine à 10 balles et une marmite en caoutchouc MADE IN CHINA. Si y a une pile, c'est que ça doit être vachtement bien, nan?"
Nan. C'est juste que l'éditeur a dit que c'était un one-shot : la première commande est la dernière. Après, c'est rupture parce que les p'tits chinois qui nous font ça sont en vacances...
Nan, je déconne. Pas de vacances, pas de salaire, pas de sécu, pas d'enfance. Que dalle sinon la vague idée aussi idiote qu'indécente que, là-bas, des hommes blancs seront contents d'apporter ça à des femmes blanches. On rit jaune (sic)
D'autres vont chercher le cadeau original. Un vrai livre! (comprenez :  pas une boite)

Bon, OK, un livre c'est pas forcément super original -en fait, ça dépend du choix du livre : ça tombe bien, c'est le sujet de cet article.

Le mois de décembre verra donc la sortie (en novembre en fait mais pour l'article c'était plus simple) de trois blockbusters qui vont faire le plaisir de milliers de personnes : les éditeurs, les libraires et les clients qui n'auront pas à se casser la tête pour trouver un cadeau. Quoique...

Pour prouver ma mauvaise foi dans ce débat, je ne donnerai pas le nom et le titre de deux des trois livres mystères qui se cachent derrière les initiales du titre. DB et ML auront suffisamment de presse et surtout de pub pour que j'en rajoute une couche ici*. On va vous bourrer le crane que c'est ça qu'i' vous faut. Préparez vous, ça va faire mal. La lobotomie publicitaire, ça s'appelle.
Et ç'est là que se niche ma mauvaise foi. Je voulais vous parler du snobisme à l'oeuvre à propos des blockbusters et des cartons commerciaux. Et je refuse d'en parler vraiment...

Je me souviens d'une altercation que j'ai eue avec une cliente : elle voulait le dernier Marie Hijjintz Cloaque et elle me demandait conseil. Je lui fais comprendre, sans doute maladroitement, que si elle veut 'ça', c'est pas la peine de me demander conseil. Si un client entre et veut un conseil et qu'elle ressort avec Hijjintz Claque, je ferais mieux de changer de métier.
Elle a pas aimé du tout, la p'tite dame. M'a même dit que si j'voulais pas vendre Marie, ben...
Elle a pas fini sa phrase. Ou j'ai pas entendu.**
Mais ça m'a fait réfléchir un peu, tout ça.
Nos amis les blockbusters : on a besoin d'eux pour vivre, mais on ne les lit pas.
Nan. Faut pas déconner non plus. Déjà qu'on les vend, leurs trucs...

.....
Et voilà.
On y est.
En plein dedans.
Du pied gauche, ça porte bonheur.

Je ne sais pas si les gens le savent ça : que leur libraire adoré snobe le bifteck - que dis-je : la côte de boeuf! Oh, on vous expliquera sans doute que certains y arrivent, à se passer de la bonne vieille Marie et ses romans faits à la machine-à-faire-des-romans estampillés MHC. Faudrait qu'on me montre où ça. J'ai comme des doutes.
Les vendre ne me gène pas. Ca permet de faire rentrer d'autres livres dont on vendra que quelques exemplaires, pour faire découvrir et se faire plaisir. Ca met de la crême dans la soupe, et c'est bien connu, le meilleur dans la soupe, c'est la crême (ou le viandox, ou les croutons, ou l'emmental).


Anna Gavalda sort un nouveau roman, le 4 novembre. Elle a pas de chance Anna : elle est passé du statut de jeune auteur dans une petite maison attachante qu'on a envie de défendre au statut de blockbuster qu'on ne lit pas parce ça se vend tout seul. Et qu'en plus ça se vend bien. Trop bien. Trop. Trop pour que certains la lisent. En dix ans elle a multiplié pas 100 le tirage initial de ses romans. Pas de bol, hein?
Quand on bosse en librairie, on sent ça. Chez certains clients et chez certains libraires. Que s'est-il passé?
Anna est victime de son succès. Oh, bien sûr, certains - dont je fais partie - lisent encore Gavalda. Beaucoup même. Mais, tout de même, il s'est passé un truc bizarre, non? Le succès. Les ventes collossales.
En France, on n'aime pas ça, le succès, la réussite. On est cons aussi, des fois.
Vous avez sans doute tous vécu ça, un jour. La personne qui, pour briller, va vous parler du truc que personne connait. Vous lui parlez de Jeff Buckley (aujourd'hui presque mainstream) et il vous parle de Tim Buckley (le père) ou de Nick Drake (le maître étalon). Comme si, parce que moins connu, moins vendu, c'était meilleur. (Bon, il se trouve que dans le cas de Nick Drake, y a rien de mieux... mais vous voyez l'idée.)
J'ai jamais aimé l'expression 'c'est commercial'. Faut pas se leurrer, si le produit existe c'est pour qu'il soit vendu. Après, évidemment, y a ceux qui brossent tellement dans le sens du poil que les gens en perdent leur discernement. Et leurs cheveux.


Mais ne mélangeons pas tout. Méfions-nous des équations simplistes (j'aurais même tendance à dire méfions-nous des équations, tout court -mais c'est le matheux qui parle, évidemment) : grosses ventes = petite littérature vs. petites ventes = grande littérature. Bullshit.

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Une semaine s'est écoulée depuis ce début de texte (merci Neuf/SFR pour la panne d'internet et les services merdiques qui ont suivi et merci pour le sevrage sauvage). Où en étais-je? Où allais-je? Je ne sais plus.
Ce que je sais, c'est que plusieurs fois depuis quelques années, j'ai entendu ou senti ce snobisme face à Gavalda et son succès. Et, si je pratique ce snobisme parfois pour d'autres auteurs, je trouve qu'il est bien malvenu pour Anna. Son succès n'a pas été bati sur une communication dantesque sur les ondes d'Europe1 ou sur les murs du métro. Peut-être a-t-elle du succès parce qu'elle a du talent, non? Eh oui, c'est peut-être parce qu'elle raconte des histoires comme peu le font. Parce que ses personnages sont si attachants, si humains qu'ils deviennent des compagnons.

Donc, Anna Gavalda sort un petit roman le 4 novembre. Et on en reparle très bientôt, c'est promis.


Signé Stéphane.

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* Je vous donne un indice, par l'intermédiaire de Louis Lahner dans son roman désopillant, Ma Vie avec Louis Lahner (Editions Au Diable Vauvert) :
"Dan Boulard n'en finit plus de nous assommer avec ses révélations sur le Vatican et la vie sexuelle de Jésus. Il en sait des choses vraiment passionnantes sur ces gens qui n'ont jamais existé, et il nous les livre, lui aussi en anglais, parce que c'est plus classe. Marc Pantoufle n'aurait jamais dû franchir la pile des manuscrits refusés dès la première lecture. Magie des alizés, son récit mièvre de l'amour d'un homme pour un fantôme dans un placard, a été porté par le vent jusqu'au bureau d'un producteur hollywoodien. Et Marc Pantoufle est devenu une star internationale des lettres."

** Une autre anecdote à propos de MHC : en 2003 je passais plusieurs entretiens auprès de la FNAC. J'étais libraire depuis quatre ans dans une grande et belle librairie indépendante - j'étais curieux de voir ce que proposait la future concurrence. Lors de mon dernier entretien avec la directrice du magasin, elle m'a demandé si je n'avais aucun problème à vendre MHC. Pourquoi j'aurais un problème avec ça? Elle connaissait la réputation de la librairie où j'étais et pensait sans doute qu'on gagnait notre vie en ne vendant que du Corti et du Minuit, au pire un peu de Gallimard...

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