Smells like teen spirit*... : sur Fargo Rock City, et Sexe, Drogues et pop-corn, et Downtown Owl de Chuck Klosterman - une lecture critique de Stéphane
Chuck Klosterman est un auteur de la Génération X. Il le revendique** (contrairement à Coupland qui se contente d'avoir créer le terme - ce qui est déjà pas mal) Romancier et essayiste, il a son petit fan club aux Etats-Unis... euh, dans son état (Dakota)... euh, dans sa ville natale (Wyndmere qui pourrait être (Downtown) Owl - et l'est sans doute un peu)... enfin, bref, il est un peu culte comme mec. J'ai l'air de blaguer mais c'est vrai***.
Chez nous trois livres ont été traduits : Je, la mort et le rock'n'rol : une histoire vraie à 85%(2005, Ed. Naive - indisponible aujourd'hui), Sexe, drogues et pop-corn (2003, Ed. Naive) et le dernier Fargo rock City, Confessions d'un fan de heavy metal en zone rurale (2001, 2011 pour l'édition française, Ed. Rivages, collection RivagesRouge****)
Downtown Owl (son premier roman, 2008) n'a pas été traduit -ce qui est bien dommage.
Je n'ai pas encore lu Je, la mort et le rock'n'roll mais ça viendra sans doute tant Chuck Klosterman me fait marrer et réfléchir. D'ailleurs ce titre (Je, la mort...) pourrait est utilisé pour sur-titrer l'ensemble de ses oeuvres quand elles seront publiées de manière posthume par The Library of Congress ou le Rock'n'Roll Hall of Fame...
Fargo Rock city s'ouvre sur un prologue assez marrant :
"Vous savez quoi? Je n'ai jamais eu les cheveux longs.
J'ai toujours eu la nuque dégagée. Tout au long de ces vingt-sept dernières années, j'ai plus ou moins eu la même coupe à la Ritchie Cunningham [...]"
Quand on sait que le livre va être sur le "hair metal" (chevelu) et le "cock rock" (couillu), la comparaison avec Ritchie a de quoi faire rire... (A propos de Happy Days, Klosterman fait une démonstration très amusante sur la virginité -yes!- de Fonzie dans Sexe, Drogues & Pop-corn.) Et, en fait, Chuck Klosteman, c'est ça : un mec marrant et intelligent qui a baigné dans la culture et arrive (souvent) à en sortir pour l'observer et pour lui donner du sens. Imaginez Roland Barthes avec des Converse, la coupe de cheveux de Ritchie, les lunettes de Woody Allen et vous aurez le nouveau Mythologiste américain, version glam rock rural. Pour continuer dans une veine capilaire, ça décoiffe!
"Le succès commercial n'implique pas l'importance musicale, mais il légitime l'importance culturelle."
A partir de ça, on peut comprendre le regard de Klosteman sur la culture de masse, mainstream ou non. Fargoest évidemment centré sur le heavy metal (et le hard, et le rock) mais Sexe, Drogues et Pop-cornexplore des terrains de la culture aussi variés que : Real World (première TV réalité - toutes les saisons - où l'on découvre que la télé réalité est bien réelle puisqu'elle a créé le public à son image*****), Woody Allen, Pamela Anderson vs. Marylin Monroe (écrit alors qu'il regarde la sex-tape de Pam), le football, les céréales, Billy Joel, les films à la John Hughes, la trilogie Star Wars et sa relation avec la Génération X, le jeu des Sims, X-Files (qu'il n'a jamais vu), Madonna et ses tentatives d'être l'icône de la sexualité contemporaine, les tueurs en série, la religion, etc, etc.
Et même quand il parle d'un sujet qui apparemment ne vous intéresse pas, il parvient à vous prendre dans ses filets tant il est drôle et perspicace. Il répond des questions que vous ne vous posez pas ("A quel moment précis toutes les ménagères d'Amérique se sont-elles transformées en putes?" ; pourquoi Springsteen est devenu le boss? ; comment vit un groupe de sosies des Guns'n'Roses? ; etc) Et il est capable d'être dur avec ce (et ceux) qu'il aime : "D'un point de vue sonore et visuel, le heavy metal était (et est encore) une forme d'art incorrigiblement dénuée de toute originalité."
Il apporte même sa contribution à cette définition fuyante du postmodernisme : "[...] tous ceux qui emploient le mot 'postmoderne' dans la conversation semblent avoir une définition différente, généralement adaptée à l'argument qu'ils s'efforcent de démontrer. Je crois que la meilleure définition est la plus simple : 'toute forme d'art consciente d'être, en fait, de l'art'. [...] Je sais qu'on pourrait proposer une meilleure définition : 'toute forme d'art consciente qu'elle est, en fait, un produit', mais cela me frappe comme étant inutilement cynique."
Ce qui est étonnant avec Fargo, c'est que vous pouvez le lire même si vous n'êtes pas fan de métal, heavy ou pas. Seule condition : aimer la musique et avoir un rapport intime avec la musique, quelqu'elle soit.
Avoir un rapport intime avec la musique ça ne veut pas dire se masturber en regardant (ou avec) la pochette de LoveSexy de Prince (pour les filles) ou Electric Ladyland d'Hendrix (pour les garçons prétentieux******), c'est avoir des périodes de sa vie, des souvenirs liés à desmorceaux ou des albums entiers d'une manière indissociable (comme si Tante Léonie et Combray ne pouvaient exister vraiment sans les madeleines), et avoir une relation sentimentale avec des artistes au point de les considérer comme des amis, d'attendre leur nouvel opus impatiemment, et même de leur pardonner leurs erreurs, etc.
Klosterman a le sens de la comparaison et de l'explication, très souvent avec beaucoup d'humour, ainsi la différence entre Eric Clapton et Eddie Van Halen :
"Ecouter Clapton, c'est recevoir un massage sensuel par la femme que vous aimez depuis dix ans; écouter Van Halen, c'est passer la meilleure nuit de sexe de votre vie avec trois élèves infirmières canon rencontrées dans un Tastee Freez. Voilà pourquoi les historiens du rock et les intellectuels adulent volontiers Eric Clapton, même si n'importe quel mec normal met des cassettes de Van Halen quand sa femme n'est pas là."
Après avoir lu Downtown Owl et plus j'avançais dans la lecture de Fargo, plus je me disais qu'il fallait absolument que je contacte ce mec pour lui demander quels cinq disques essentiels il emmènerait sur une île. Eh ben, non. Pas la peine. Il déteste ça, en fait. Mais voici sa réponse habituelle :
"Ma réponse : cinq de ces disques remasterisés de Pink Floyd à 26 dollars pièce, fabriqués à partir d'or à vingt-quatre carats. Le contenu du disque n'a aucune importance ; j'espère simplement que l'or sera assez malléable pour que je me fabrique une pointe de flèche et que je tue un sanglier sauvage. L'or est également beau et brillant, idéal pour faire du troc [...] Les choses essentielles sont celles qui vous maintiennent en vie."
Bon, c'est pas très rock'n'roll comme réponse, faut avouer. Et pourtant, c'est de ça dont parle Fargo : l'essence du rock'n'roll, et de la rock'n'roll attitude. Dans Sexe, Drogues et Pop-corn, il y a un passage assez drôle et convaincant sur l'essence du cool, et en particulier comment Billy Joel est un Grand sans être cool... Et il conclut sa démonstration avec cette auto-dérision intime dont il a le secret : "C'est peut-être pour cela que je ne peux pas voir Billy Joel comme quelqu'un de cool. C'est peut-être parce que tout ce qu'il me montre, c'est moi."
Malgré tout, il donne une liste de disques avec un critère rigolo : le Jack Factor, "le montant en cash qu'il faudrait me donner pour que j'accepte de ne plus jamais l'écouter". (Pour le détail des albums, voir les pages 160-190 - sachez que Appetite for Destruction des Guns a le plus gros Jack Factor, 5001 $)
Et d'ailleurs il n'y a pas que le heavy dans Fargo, Klosterman a une culture tellement foutraque que ça part souvent dans tous les sens avec des références à foison. Il s'interroge, au passage, sur le rapport du sexe, de l'alcool, de la religion, etc., et de la musique; sur le synthétiser; sur l'argent; sur l'industrie du disque...
Rien que pour le nombre de notes de bas de page, j'aime ce mec! Et en 88, au même moment, nous écoutions l'album de John Cougar Mellencamp intitulé Scarecrow (lui dans les champs du Dakota du Nord, moi dans ceux de la Beauce) - forcément, ça créé des liens.
Downtown Owl, publié en 2008, est le premier roman de Klosterman (le second, Visible Man, est sorti cette année *******) et a essuyé quelques critiques négatives, principalement sur le côté trop Klosterman du roman. Ouais, je sais, ça peut sembler bizarre... En fait, le problème du roman c'est d'avoir été publié après cette longue carrière de 'mythologiste' qui décortique la culture populaire, traque les icônes et déconstruit les archétypes. Les lecteurs ne voyaient que Klosterman derrière la narration. Moi, j'arrivais vierge à Owl. Je découvrais Klosterman. Et j'ai aimé ce que j'ai lu.
Le roman commence et finit par un article de journal évoquant la tempête de neige aussi inattendue que meurtrière (11 morts, plusieurs disparus). Entre ces deux articles, le lecteur aura remonter le temps et fait défiler les journées qui ont ponctué la vie simple, parfois morne et insipide, de trois personnages principaux : Mitch Hrlickla, un jeune de 16 ans qui n'est ni brillant au foot ni particulièrement éclatant au bahu, Julia Rabia, jeune professeur d'histoire qui arrive à Owl au début du roman, en août 1983 ; et Horace, un veuf dont les journées ne sont rythmées que par l'après-midi au café, à discuter avec les vieux copains.
Est-ce que, rétrospectivement, je trouve qu'il y a trop du Klosteman essayiste-docteur-ès pop culture dans Downtown Owl? Non. Les gamins (Mitch en tête) ne sont pas constamment en train d'écouter, ou même d'évoquer, les groupes de heavy qui ont construit (ou détruit, c'est selon) les oreilles de Klosterman ado. Il y a bien un personnage énigmatique qui n'écoute que les Rolling Stones mais à part ça, rien d'anormal! Quant à ceux qui reprochent à Downtown Owl son manque d'intrigue, ne lisant que les journées parfois mornes qui s'enchainent, ils ont vu et raté l'essentiel : la vie parfois morne en 83/84 à Downtown Owl. Et n'allez pas croire que cela manque de charme, même s'il faut avouer que c'est la voix d'Horace qui l'emporte avec ses journées sans but mais sa mémoire chargée.
Et la séquence finale, au coeur de la tempête, où l'alternance des points de vue est accélérée, vaut largement le détour par Owl. Je suis d'ailleurs d'accord avec Klosterman quand il dit (dans lequel de ces trois livres?) qu'un bon morceau vaut l'achat d'un album. Parce que, pour un morceau, on découvre un ensemble, et souvent d'autres bons morceaux.
Pris séparément, un livre de Klosterman semble être le résultat de la psychanalyse d'un "intellectuel péquenaud" (comme il le dit lui-même) englué dans les mass-medias. Après avoir lu trois livres de ce mec, je n'ai eu qu'un regret : qu'il n'est pas été mon meilleur pote depuis trente ans.
Si ça, c'est pas un compliment... je veux bien me raser la tête!
Signé Stéphane ( & Chuck pour les citations!)
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* Quand je pense que je n'aime même pas ce disque... que j'ai revendu, dès 1993, pour m'acheter sans doute un vieux Neil Young qui me manquait. Chuck Klosterman n'est d'ailleurs pas super fan non plus même s'il reconnait le statut charnière de Nevermind et de Nirvana dans la Génération X et la culture en général.
"Les jeunes de vingt ans, dans les années 90, ont acceuilli à bras ouverts un disque comme Nevermind de Nirvana parce que a) c'était un affront socioculturel à la vacuité du paradigme reganien et b) ça déchirait, putain."
Ce qui compte, ici, c'est bien sûr l'esprit (spirit) des livres de Klosterman et son rapport à l'intimité d'une adolescence (teen) passée à découvrir la musique et le monde.
** Dans le chapitre où Klosterman établit un rapprochement audacieux (une paternité même) entre la trilogie Star Wars et la Génération X, il met les choses à plat : contrairement à tous ceux qui en sont (les Gen Xer), lui l'admet volontiers. La faute à qui? A George Lucas!
***Suivant les ouvrages, il se définit comme un "intellectuel péquenaud" ou le "délirant journaliste controversé" (Fargo) ou comme le "baratineur free-lance semi-pro préféré de l'Amérique" (SDP)
**** Dans la même collection vient de sortir Tom Wais, une biographie - Swordfishtrombones et chiens mouillés signée par Barney Hoskyns qui apparait dans Fargolors d'une conversation téléphonique avec Klosterman pendant laquelle Hoskyns semble, non seulement prévoir le futur livre de Chuck, mais aussi en démonter l'idée! Je devrai lire cette bio prochainement.
***** Je n'ai pas retrouvé la citation dans la version française, mais de tête, ça donne "Real People is real people is real people is real people." N'avez vous pas, dans vos amis, un pote homo qui se comporte comme Steevy?
****** Il y a une trentaine de filles à poil sur la pochette originale - je n'ai jamais vraiment compté...
******* Que Douglas Coupland a beaucoup aimé d'ailleurs (sur Twitter)