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SERENDIPITY

California dreamin' : sur Impurs de David Vann - une lecture critique d'Alexandre

23 Avril 2013, 23:42pm

Publié par Seren Dipity

    La première chose à dire c'est qu'un livre de David Vann avec une pelle en couverture ne présage rien de bon. En général la présence d'une pelle sur une couverture fait toujours cet effet sauf dans le rayon jardinage et enfant. Parce que le jaune beige de la couverture pourrait induire en confusion. Cela donne une certaine chaleur, presque convivial. Niet.

    Comment commencer un article sur un livre de David Vann sans parler de son premier roman, Sukkwan Island ? C'est le lot des auteurs qui entament leur carrière en assénant un magistral et retentissant coup sur la table de la littérature. Sukkwan Island est une bombe dont les échos ne risquent pas de s'arrêter de si tôt. Cette effroyable et glaciale plongée dans un huis clos sanglant entre un père et son adolescent forme un ouvrage qui nous interroge par sa capacité à retenir notre voyeurisme en face à face avec notre dégoût. Pour clore ce paragraphe sur le prix Médicis 2010, on notera pour soi même qu'il ne faut jamais rien attendre d'un livre en se fiant à son expérience (comme de toute chose) au risque d'être déçu. On prend d'un livre ce qu'il a a donné, bien content quand l'intrigue tient le niveau de l'ambiance. Impurs, concourt-il dans cette catégorie ?

« Galen attendait sa mère sous le figuier. Il lisait Siddharta pour la centième fois, le jeune bouddha contemplant la rivière. Il sentait l'énorme présence du figuier au-dessus de lui, écoutait le non-vent, le calme. La chaleur estivale accablante, aplatissant la terre. La sueur comme une pellicule recouvrant presque tout son corps, une enveloppe.
Cette vieille maison, les arbres séculaires. L'herbe déjà haute qui lui grattait les jambes. Il essaya malgré tout de se concentrer. D'entendre le non-vent. De se focaliser sur sa respiration. De faire abstraction du non-soi.
Galen, appela sa mère depuis l'intérieur. Galen.
Il respira plus profondément, essaya de faire abstraction de sa mère.
Ah, te voilà, dit-elle. Tu viens prendre le thé ?
Il ne répondit pas. Il se concentra sur sa respiration, espérant que sa mère disparaîtrait. Mais il était là à l'entendre bien sûr, à attendre le thé. »

    Galen est un garçon légèrement déséquilibré qui vit seul avec sa mère dans leur vieille maison familiale de Californie. Un lieu d'un autre temps, planté sur une plantation de noyers. Aspiré par un souffle de spiritualité, il gère très difficilement son rapport aux autres et à une tendance à vouloir se fondre dans les éléments naturels, terre, caillou. Sa mère n'est pas peu responsable du désordre psychologique de son fils. Elle ne lui a jamais qui était son père, refuse de lui payer des études, le retient (le séquestre presque) auprès d'elle dans le mythe d'un passé idéalisé et tente par tous les moyens d'embellir un présent malsain.
    Les seules sorties de ce lieu d'étouffement sont les visites quotidiennes à la grand-mère de Galen dans sa maison de retraite. Une grand-mère délaissée et manipulée par sa fille et qui perd la tête.
    Les seules visites sont celles de la tante maternelle de Galen, Helen, et de sa cousine, Jennifer, qui finissent toujours en violentes disputes induites par d'ancestrales rancunes. Dans les rapports qu'entretiennent les deux sœurs Galen est soit pris à partie soit instrumentalisé. Le lien avec sa cousine est un mélange de fantasmes et de manipulation érotico-sexuelle.

    « Elle avait fait de lui une sorte d'époux, lui, son fils. Elle avait chassé sa propre mère, sa sœur et sa nièce, et il ne restait plus qu'eux d'eux, et chaque jour il avait le sentiment qu'il ne pourrait plus la supporter un jour de plus, mais chaque jour il restait. »

    Ce qu'il y a de très étonnant dans les romans de David Vann c'est qu'avec peu de matière il sait construire une chape qui se referme sur ces personnages jusqu'à l'asphixie. Sous le soleil brûlant de la Californie, Galen, objet instrumentalisé, voit ses failles psychologiques se creuser jusqu'à un gouffre et aucune de ses lectures initiatiques, ni celle d'Herman Hesse ni celle de Richard Bach ne pourra le sauver, au contraire. Mais se sont en fait tous les personnages qui poussent les événements vers le drame.
    Impures ne manquera pas de laisser au lecteur certaines images d'inhumanité. Le temps dira si ces images sont délébiles ou non.

Signé Alexandre
   

David Vann (né en 1966 sur l'île Adak, en Alaska) est un écrivain américain.
Les plus notables de ses écrits sont A Mile Down : The True Story of a Disastrous Career at Sea1 (basé sur l'histoire du naufrage d'un bateau construit par l'auteur) et le recueil de nouvelles, Legend of a Suicide2 (inspiré par le suicide de son père).
En France, la maison d'édition Gallmeister publie Sukkwan Island en janvier 2010. Le roman, tiré de Legend of a Suicide 3, rencontre un fort succès critique et public (40 000 lecteurs comptabilisés en mars 2010 4) et reçoit le prix Médicis étranger en novembre 20105.
David Vann publie également dans les magazines suivants: The Atlantic Monthly, Esquire, Outside Magazine, Men's Journal et Writer's Digest. Ses textes sont notamment appréciés pour leur approche nouvelle de la masculinité.
David Vann enseigne à l'Université de San Francisco.

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C
Superbe article sur un superbe livre même si j'ai préféré Sukkwan Island. J'ai Désolationsen attente et je suis impatiente de m'y mettre. <br /> J'adore particulièrement l'ouverture de ce roman, Impurs. On est tout de suite happés, en peu de mots.
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L
J'ai été déçu par ce roman. Si le fond est très fort, la forme l'est moins et la seconde partie, confrontation entre mère et fils n'est pas à la hauteur du sujet.
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