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SERENDIPITY

One hand clapping* : sur La Main d'Iman de Ryad Assani-Razaki - une lecture critique de Stéphane

2 Janvier 2013, 12:48pm

Publié par Seren Dipity

Le Bénin de Ryad Assani-Razaki n'est pas celui que j'ai vu. En visiteur privilégié, je n'ai qu'entre-aperçu ce Bénin là. Filant dans les rues de Cotonou ou traversant les villages du haut de mon 4x4 VW, j'étais plus blanc que blanc - j'étais blanc et riche. Heureux malgré tout, mais un peu coupable.book_451.jpg

J'ai vu des enfants, beaucoup. Mais je n'ai pas vu l'enfance béninoise.

Au cours du roman, Ryad Assani-Razaki le dit : les choses ont changé. C'est à espérer.

Mais d'ailleurs, on s'en moque : Ryad Assani-Razaki ne donne jamais le nom du pays dont il parle.

 Ca débute comme ça :

"A l'origine fut un échange de mains. Je devais avoir six ans. Le premier souvenir impérissable de ma vie : une main, celle de mon père, calleuse, noire, râpeuse, poussiéreuse et endurcie par le travail des champs, tendue vers cette autre main, douce, fine, manucurée et tenant la plus grosse somme d'argent sur laquelle j'avais jusqu'alors jamais posé les yeux. 15 000 FCFA (23 euros), et mon destin était scellé."

Toumani est vendu pour devenir domestique, cette une première amputation, celle des racines, des fondations. Elle sera suivie par d'autres. Toumani fait la rencontre d'une jeune fille, Alissa, promise au même sort. Emmené par son nouveau propriétaire, il va vivre un cauchemar avant d'échouer, laissé pour mort, dans les égoûts, bouffé par les rats. Mais il y aura une autre main tendue, celle du titre, La Main d'Iman, un enfant métis. Ces trois personnages enfants sont au coeur de ce roman violent et touchant. Leur apprentissage de la vie se cogne au monde des adultes, qui ont, eux aussi, leurs souffrances, et sont, eux aussi, victimes des coutumes et des traditions.

"Cette souffrance, nous ne la vaincrons pas. Elle coule dans notre sang, donne leur rythme à nos coeurs. Non, nous ne la sentons même plus parce qu'elle s'est glissée sous notre peau. C'est elle, ce noir qui brille sous le soleil. Elle est nous."

Le roman brasse des destins (ceux des trois enfants, mais également des adultes, satelittes dans l'univers de Toumani, Iman et Alissa) sur trois générations, évoque le poids écrasant des traditions et des coutumes, qu'elles soient religieuses ou non, aborde la politique et le pouvoir militaire (intimement liés), la place des femmes dans cette société, etc. Tous ces éléments sont indissociables : les choix des personnages sont dictés par et contre ces forces sociales, familiales, traditionnelles, ataviques. Le roman est chorale - il ne pouvait être que chorale. Pas de tragédie sans choeur.

"On dit que le destin d'un homme est entre ses mains. Mensonge. Souvent, le destin n'est que la pointe d'une lance projetée depuis plusieurs générations."

C'est la grand-mère qui le dit.

C'est dur pour les hommes, mais pis pour les femmes :

"Je suis femme, je suis outil, je sers à façonner. Telle la glaise [...]"

"Chaque femme porte en elle trois générations. Nous sommes le passé, le présent et l'avenir. L'esprit, le sexe et le sein."

La seule échappatoire à ce déterminisme impitoyable, c'est la fuite : l'Europe, la France.

"Je préfère mourir là-bas que continuer à ne pas vivre ici."

Et dans un pays où même "l'ambition est un luxe" ce passage a un prix, et simplement en rêver a des conséquences...

L'obsession de l'immigration est bien sûr omniprésent dans ce roman - d'ailleurs, la table des matières nous montre clairement que Ryad Assani-Razaki a inscrit le mot, sous forme de téléstiche (acrostiche sur la lettre finale) avec chaque titre de chapitre. De là à dire que c'est la finalité du destin des personnages (sachez que l'auteur vit au Québec)...

Le talent de Ryad se déploie dans le portrait de ses nombreux personnages : de la prostituée à l'expatrié blanc qui réussit à posséder la mère d'Iman, du petit truand au militaire corompu, les trois membres du trio Toumani/Alissa/Iman - il ne délaisse aucun des personnages et leur donne une vraie épaisseur. Cette épaisseur commence, bizarrement, par le vide, le manque : de nombreux personnages sont d'abord définis en creux, par l'absence et la négation (déshumanisation, invisibilité sociale, amputation) mais Ryad Assani-Razaki a, le lecteur le sent, un attachement profond pour son pays et parvient à donner corps à ses personnages.

 

Un premier roman dur et poignant.

 

Signé Stéphane

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* Le pari de prendre un titre des Beatles pour chaque papier de la rentrée est terminé... mais ce titre de McCartney & the Wings (même rare et non officiel) convenait bien...

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