Back in the USSR II - le Retour : sur Un Printemps à Tchernobyl d'Emmanuel Lepage
Décidément, j’aime les bandes dessinées en un seul tome…
Récompensé lors du dernier festival Quai des Bulles, fin octobre à Saint-Malo, Emmanuel Lepage signe une bande dessinée sublime et marquante. On la lit avec avidité mais aussi avec appréhension.
Un printemps à Tchernobyl est une sorte de documentaire graphique, le témoignage de son auteur face à cette expérience inoubliable :
En 2008, il part en résidence d’artiste pour un voyage particulier : passer quelques semaines tout près de la « Zone interdite » de Tchernobyl, quitte même à y entrer. C’est à l’initiative d’une association bretonne, les « Dessin’acteurs », qui a pour objectif de soutenir une autre association, « Les Enfants de Tchernobyl », en livrant leur témoignage par le biais d’une exposition et d’un carnet de voyage. Des personnes se sont impliquées en offrant des vivres en prévision des difficultés d’approvisionnement à proximité du secteur contaminé. Deux artistes, qui s’y étaient déjà rendus à deux reprises, ont trouvé le lieu d’accueil…
Et le voilà parti, avec un peu d’appréhension certes mais avec en plus une petite forme car son bras lui fait de plus en plus mal, l'handicapant sérieusement pour le dessin, son métier, sa passion.
Il en est sorti plusieurs ouvrages mais cette bande dessinée, cette œuvre graphique, est clairement un ouvrage de toute beauté, pas seulement par son graphisme mais aussi par ce qu’elle dégage, son humanité et sa réflexion.
On y voit cet homme avancer avec mille précautions, un homme qui a tout simplement peur de se faire contaminer, et qui, peu à peu, va se laisser « apprivoiser » par les lieux et ses habitants dont il fait la connaissance lors de repas conviviaux.
Les dessins qui débutent l’ouvrage sont en noir et blanc avec des touches de couleurs révélant seulement les signes de la catastrophe et de la contamination. Et petit à petit, les couleurs entrent, donnent vie à cette nature qui, en effet, à bel et bien repris ses droits dans cet endroit vidé des hommes.
Et ces visages d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont connu la destruction de cette ville, et qui vivent aujourd’hui à l’orée de la « zone », avec aussi bien la maladie et la peur mais aussi avec la volonté de vivre dans la normalité. Ces chansons chantées autour de la table remplie de verres de vodka, ces histoires douloureuses racontées…
Voilà, on y vient, à la beauté, à l’humanité, à la contradiction même de ce que Tchernobyl nous semblait être.
Après avoir lu La nuit Tombée de Antoine Choplin il y a peu ICI, voilà que cette catastrophe nucléaire revient me bousculer, afin d’effacer l’image ancienne et enfantine que je m’étais faite, pour la remplacer par des images et des mots plus complexes mais plus vrais aussi.
Emmanuel Lepage affirme qu’en dehors des ruines de la centrale et du dosimètre qui s’affole par instant, "on passe son temps à chercher quelque chose qui puisse nous convaincre que l’endroit est dangereux, qu’il s’y est déroulé une tragédie. Or, rien ne se voit. Dans la nature, rien ne nous dit qu’il y a eu un accident nucléaire. On le sait, mais on ne le perçoit pas" .
Et il a très bien réussi à retranscrire cette sensation, cette vérité, dans cette ouvrage de grande beauté.
Je vous la recommande chaudement!
Signé Gaëlig
Dessiner, peindre l'invisible? La mort, la vie? Comment fait-on? A plusieurs occasions dans cet album, Emmanuel Lepage témoigne de son désarroi face au projet. Il nous dit également l'indécence à voir et dessiner la beauté là où il pensait trouver l'horreur. L'horreur, comme le dernier soupir de Kurz, "au coeur des ténèbres", comme le dit Emmanuel Lepage. Une horreur qui se dérobe dans cette quête rythmée par le "bruit de fond" et les tic tic du dosimètre. Il trouve la musique, les chants, la vie. Emmanuel Lepage dit cela et surtout, il le montre dans des planches à couper le souffle de beauté. Superbe !
Signé Stéphane