Tell me what you see : sur Anima de Wajdi Mouawad - une lecture critique de Gaëlig
Anima de Wajdi Mouawad est certainement un des meilleurs textes qu’il m’ait été donné de lire cette année. J’y allais un peu à reculons car je savais que ce ne serait pas une partie de plaisir et j’en ressors bouleversée, émerveillée et totalement conquise !
Tout commence par ce meurtre effroyable : Wahhch Debch retrouve sa femme sans vie, éventrée, et violée dans son salon, un soir. Tétanisé par la douleur et par les souvenirs inconscients qui ressurgissent de son enfance, il part à la recherche du meurtrier. Pas pour se venger, non, mais pour mettre un visage sur le coupable afin de s’assurer que l’auteur de cet acte ignoble n’est pas lui-même. Ce besoin, irrépressible, l’amènera de Montréal aux confins de l’Amérique, en passant par les réserves indiennes.
Nous le suivons donc à travers ce road movie, ce polar sombre et violent, cette quête d’identité. Mais si Anima n’était « que » ça. Peut-être aurait-il été un bon roman, un bon polar.
Or, Wajdi Mouawad va plus loin : les narrateurs de ce roman, tout en suivant de très près Wahhch Debch, sont les animaux. Ces animaux qui peuplent nos vies, notre terre. Que ce soit l’araignée tapie dans le coin du salon, le chat de la maison, l’oiseau qui chante au dessus de nos têtes, la fourmi au pied d’un banc ou le moustique dans la cabine téléphonique, tous ont remarqué Wahhch et sa souffrance et témoignent de la scène qui a lieu autour d’eux. Et tout du long, c’est bel et bien à travers leurs yeux, dans leur langage que nous suivons cet homme tourmenté, blessé et déchiré. Et, alors qu’on a peur de l’exercice de style trop poussé, trop travaillé, la langue reste d’une fluidité impressionnante.
Wahhch rencontrera sur son passage toutes sortes de personnes, des plus dévouées aux pires êtres humains que la société ait pu créer. Elles le conduiront, à leurs manières, à leur insu souvent, à cette rédemption qu’il cherche depuis le début.
Des Indiens parqués dans les réserves nord-américaines aux fantômes du massacre de Sabra et Chatila, il y a tout juste trente ans, au Liban, W. Mouawad ouvre une brèche dans laquelle nous ne pouvons que nous jeter, pieds et poings liés, afin de mieux comprendre les souffrances des peuples aux prises de la haine humaine.
Il nous livre là, avec une maîtrise incroyable, un coup de poing violent et néanmoins auréolé d’une poésie et d’une beauté indéniables.
Lisez-le!
Signé Gaëlig