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SERENDIPITY

The Fool on the hill* : sur Géographie de la bêtise de Max Monnehay - une lecture critique de Stéphane

8 Octobre 2012, 09:23am

Publié par Seren Dipity

L'un des premiers romans français lus pour cette rentrée fut une excellente surprise. Avec Les Oubliés de la lande [voir ICI], j'entrais encore une fois dans un curieux village.monnehay-gc3a9ographie-de-la-bc3aatise.gif

Le second roman de Max Monnehay, après Corpus Christine en 2006, s'ouvre sur deux citations authentiques et une autre, apocryphe.

Cocteau ("Dès qu'un poète se réveille, il est idiot. Je veux dire, intelligent.") et Flaubert ("Imbéciles : ceux qui ne pensent pas comme nous."), tiré du Dico, bien entendu. L'onirisme poétique et le réalisme bien envoyé.

Bastien, quant à lui, fusionne la poésie, l'absurde et l'altérité :

"Il avait suffi que je me dise un peu magicien pour que tout à coup des petits lapins blancs me sortent du cul.

Et de mes hanches avaient jailli des jardins anglais, des arcs-en-ciel et d'autres trucs, je ne peux pas vous en dire plus, moi je ne voyais rien."

Bastien, c'est notre idiot de narrateur, et d'entrée avec ses deux illustres acolytes, ils donnent le ton du roman. Et il esquisse la frontière entre l'idiotie et ... Et quoi, d'ailleurs? L'intelligence? La normalité ?

Le premier chapitre s'intitule "Anti-leçon 1" et s'ouvre sur une entrée (l'un des grands topoï du genre) :

" Le seul critère auquel vous deviez répondre si vous souhaitiez être admis au sein du village des idiots du village, c'était une belle et franche imbécillité."

Arrivé à la fin de ce chapitre liminal, la tragédie est annoncée, et le compte à rebours est lancé : "[...] un mois, cinq jours et quatorze heures avant que je me jette dans les flammes en me tordant de rire." Ce décompte avant l'embrasement parsème le roman : " Dans vingt-quatre heures, en cherchant à prouver qu'il n'est pas un idiot, un jeune homme va démontrer qu'il est le roi des cons." Max Monnehay a le sens de la formule. Et elle va l'utiliser.

Mais revenons à notre village. Pierrot est un idiot. Est-ce inné ou social, est-il né idiot ou ses conditions de vie l'ont-elles rendu idiot? Peu importe, il l'est. Il s'en est arrangé longtemps, mais, après la mort de ses parents, il décide d'utiliser son héritage pour une idiotie... Une utopie grandiose. Voici la définition d'utopie :

"Utopie : c'est quand t'es assez crétin pour penser que le monde pourrait être autre qu'une immonde saloperie."

Ça, c'est le dico de "Mam", la génitrice de Bastien et créatrice de l'idiot qui dégaine les définitions comme d'autres des idioties. 

Les chapitres s'intitulent Anti-leçon. Ou La Médecine pour les Nuls. Ou Leçon de géographie.

"Leçon de géographie n°1

La France, une nation solidaire

Le gouvernement privilégiait l'intelligence. C'était son truc, au gouvernement. Il était très intelligent lui-même, alors il voulait que tout le monde le soit.Pas autant que lui quand même, parce qu'il fallait pouvoir continuer à manipuler."

Géographie de la bêtise est le rêve d'un village d'idiots du village. Cela commence par un Tour de France mémorable. Bastien sera le premier "Avec sa tronche en forme de désastre. Avec son corps façon Fin des Temps. Le tout premier." Contre toute attente, le projet fait des envieux, et tout un tas de désespérés se présentent. Des simulateurs, des "imitateurs" qui tentent de pénétrer le village.

"Et des comme ça, des trop cons pour être idiots, il en arrivait tous les jours, je vous jure, de plus en plus, une marée de plagiaires, une armée de pasticheurs, davantage chaque semaine, et Pierrot avait craint que leur grand nombre ne les poussât à fonder auprès du nôtre un village-miroir."

Et il y aura Elisa, l'amour, enfin. Et la fin.

 

Beaucoup de choses dans ce roman. Un monde, des personnages (et quels personnages!), et un ton incroyable. Max Monnehay fait ce que j'aime : elle créé un univers, le peuple et l'habille avec une langue très personnelle qui vous caresse parfois et vous claque très souvent.

"En attendant que les choses se mettent à dérailler, je me repaissais des seins d'Elisa, des cuisses d'Elisa, des reins d'Elisa. Ma langue avide dans les moindres recoins de son anatomie.

L'inertie que son corps avait manifesté la première fois, contre votre corps à vous, souvenez-vous, continuait d'en faire entre mes mains une petite chose morte.

Une dépouille d'animal crevé.

Une mollesse de femme dans laquelle je prenais mon pied.

C'est fou ce que la perspective d'un orgasme avec la femme que vous aimez peut vous amener à pratiquer.

La quasi-nécrophilie, dans mon cas.

Ne faites donc pas cette tête, vous savez bien de quoi je parle."

 

Signé Stéphane.

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