The times they are a-changin' : sur La Couleur des Sentiments de Kathryn Stockett - une lecture critique de Stéphane
Jackson, Mississippi. Le début des années 60 ressemble, à peu de choses près, aux années 50, aux années 40, 30, etc.
Malgré Rosa Parks, malgré Martin Luther King, malgré Kennedy - oh, ça bouge mais si peu et si lentement que le quotidien n'est guère différent.
La chanson de Bob Dylan est l'une des quelques rares chansons qui rythment ce très beau roman. Kathryn Stockett s'excuse de l'avoir utilisée sans respect pour le calendrier (la chanson n'est sorti qu'en 64). J'aurais pu utilisé Only a Pawn in Their Game, ("rien qu'un pion dans leur jeu") une autre chanson de Dylan, sur l'assassinat de Medgar Evers (qui est relatée dans le roman), une chanson qu'il a chantée après le discours célèbre de Martin Luther King, I have a dream.
En 1962, les blanches confient toujours leurs enfants à leur bonne (le titre original est The Help) mais quand l'une d'entre elles annonce qu'elles doivent toutes faire construire des toilettes séparés pour éviter les maladies et autres contaminations des gens de couleur, la majorité suit. C'est le Mississippi des early 60's.
Skeeter aussi fait un rêve : elle veut devenir journaliste ou écrivain. Quand une éditrice new-yorkaise refuse de l'embaucher mais lui conseille de se faire la main dans le journal local, elle trouve un poste de pigiste pour la rubrique vie pratique. Elle n'y connait rien - c'est la bonne qui a toujours tout fait, chez elle.
Elle va demander de l'aide à la bonne d'une amie, Aibileen.
Devient-on écrivain ou journaliste en écrivant la rubrique vie pratique? Non. L'éditrice lui conseille alors de trouver un vrai sujet, profond et audacieux. Elle trouve, et alors que la bataille des droits civiques fait rage; alors qu'un enfant est battu au point de perdre la vue parce qu'il s'est trompé de toilettes; alors que le KKK est toujours tapi dans l'ombre - elle demande une nouvelle fois à Aibileen de l'aider.
Elle veut réunir les témoignages de bonnes noires pour connaître leurs vérités sur la vie quotidienne de ces femmes qui élèvent les enfants des blancs avec amour alors que leurs propres enfants ne peuvent fréquenter les écoles, bibliothèques des petits blancs.
"La vérité.
Ce mot-là, ça me rafraîchit, comme de l'eau qui coulerait sur mon corps tout collant de sueur. Qui refroidirait la chaleur qui m'a brûlée toute ma vie.
La vérité, je me répète dans ma tête, juste pour sentir ça encore une fois."
Ce n'est que le début. Voilà pour la trame. Mais, il n'y a pas que ça. Comme Ne Tirez pas sur l'oiseau moqueur (sorti en 60, Pulitzer en 61), La Couleur des Sentiments nous offre un regard plein de tendresse, mêlant habilement naiveté et lucidité, sur les injustices et les rapports blancs/noirs. Raconté à tour de rôles par Skeeter, Aibileen et Minny, une autre bonne à la langue bien pendue et à l'humour féroce, le roman fonctionne à merveille et brosse une palette d'émotions qui en font un roman irrésistible. Il y a bien sûr d'autres intrigues secondaires, qui entraînent en permanence le lecteur et assurent un plaisir de lecture qui rappelle Ne Tirez pas sur l'oiseau moqueur... Skeeter se présente d'ailleurs comme le "Boo Radley de Jackson, Mississppi". Si vous avez lu le grand roman de Harper Lee, vous vous souviendrez forcément de Boo Radley; sinon, faites-vous plaisir et faites plaisir à vos ami(e)s : offrez leur Ne Tirez pas...
La Couleur des Sentiments a reçu un excellent acceuil outre-atlantique et, franchement, c'est très largement mérité. La traduction publiée chez Jacqueline Chambon, assurée par Pierre Girard, est excellente.
J'ai l'impression d'avoir dit que tout est bon, non?
Eh, bien je confirme. Assurément l'un des meilleurs romans étrangers de la rentrée, catégorie plaisir.
Signé Stéphane.