To be or not to be... jew? That is the F...... question* : sur La Question Finkler de Jacobson - une lecture critique de Stéphane
Le dernier lauréat du Man Booker Prize** arrive en France chez Calmann Levy, La Question Finkler d'Howard Jacobson - très bonne traduction*** de Pascal Loubet.
Si le roman est si bon c'est gràce à la manière dont Jacobson arrive à mêler l'humour à des questions comme le sionisme, l'antisémitisme, l'identité, le deuil, le désir - et j'en passe.
La Question Finkler, c'est un trio d'hommes et des satellites qui forment la galaxie Finkler, le monde selon... Finkler, Treslove et Sevcik. Trois amis endeuillés ou esseulés se fréquentent, parlent, rient, réfléchissent, se rappellent le passé, envisagent le futur.
Samuel Finkler est un philosophe médiatique qui a eu de beaux succès en librairie avec des titres comme L'Existentialiste en cuisine ou Le Petit Manuel de stoïcisme ménager (vous voyez le genre...).
Libor Sevcik est un ancien journaliste qui a fréquenté les plus grandes stars féminines du cinéma. A 90 ans, il est ravagé par la mort de sa femme, l'amour de sa vie.
Contrairement à ses deux amis, Julian Treslove n'est ni veuf, ni juif. C'est à peine s'il est - habitué qu'il est à être le sosie d'un tas d'acteurs.
Ca débute comme ça :
"Il aurait dû s'y attendre.
Etant donné que sa vie n'avait été qu'une succession de catastrophes, il aurait dû se préparer à celle-là."
La catastrophe en question, c'est l'agression que subit Julian Treslove après un repas avec ses deux amis. Rien de bien méchant, mais les mots prononcés par l'aggresseur (en plus, c'est une femme!) vont profondément pertuber Treslove au point de provoquer un doute profond sur son identité religieuse...
Et le reste, comme dirait l'autre, c'est du vaudeville.
Mais La Question Finkler ne se résume évidemment pas à son pitch comme dirait Ardisson. C'est l'humour qui crée le plaisir ici. Les dialogues sont souvent hilarants. L'extrait qui suit se déroule entre Julian et Libor après que celui-ci ait eu un diner avec une femme bien plus jeune que lui :
"Je parie qu'elle a passé un sacré moment avec vous, dit Treslove.
- Je vous assure que non. Je lui ai fait porter des fleurs pour m'excuser.
- Libor, elle va croire que vous voulez la revoir.
- Ah, vous les Anglais! Vous voyez une fleur et vous vous imaginez qu'on fait une demande en mariage. Faites-moi confiance, elle comprendra. J'y ai joint un billet.
- Vous n'avez pas été grossier avec elle.
- Bien sûr que non. Je voulais simplement qu'elle constate que j'ai la main qui tremble.
- Elle prendra peut-être cela comme une preuve d'excitation.
- Sûrement pas. Je lui ai dit que j'étais impuissant.
- Vous étiez obligé de lui révéler un détail aussi intime?
- C'était pour que ce rendez-vous ne le soit plus. Notez bien, je ne lui ai pas dit que j'étais impuissant à cause d'elle.
Ce sujet embarrassa Treslove. Et pas seulement parce qu'il avait récemment été dépouillé de sa virilité par une femme. On ne l'avait pas préparé, contrairement aux finklers, à l'évidence, à aborder des questions de nature sexuelle avec une femme avec qui il ne couchait pas."
La question ontologique de la judéité et le sexe offrent beaucoup de moments très drôles ("Si je découvre que je suis à demi juif, est-ce que je vais brusquement devenir à demi malin? - Tu n'as pas besoin de lui pour être à demi malin. - A demi riche, alors ?") mais, je peux l'avouer, je n'ai pas toujours été emporté par le roman et les discussions sans fin sur Israel et les sionistes et les antisémites et les antisionistes... Les cent dernières pages ont même été un peu laborieuses. Je parlais de vaudeville mais il manque malgré tout un peu de rebondissements à tout ça.
Signé Stéphane.
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* Hamlet est la seule oeuvre littéraire sur laquelle les deux héros s'entendent. La question est au coeur du roman...
** Devant le dernier Peter Carey, et Room de Donoghue dont on reparlera très bientôt.
*** Les jeux sur les mots et les sons étaient un peu tricky!