Woman is the Nigger of the world* : sur Bérénice 34-44 d'Isabelle Stibbe, Une faiblesse de Carlotta Delmont de Fanny Chiarello et Dans l’ombre de la lumière de Claude Pujade-Renaud - une lecture critique de Gaëlig
Après la remise des Prix Landerneau en février, il est difficile de se remettre à lire assidûment. On a besoin d’une pause, aussi courte soit-elle, pour digérer les nombreuses lectures éclaires qui ont fait des 2 derniers mois un moment de dur labeur. Mais il était temps de vous parler de trois des livres qui m’ont le plus touché dans la période de sélection des prix Landerneau. Qu’ils aient été sélectionnés ou pas, finalistes ou pas, peu importe.
Ils sont tous trois de très bons livres qui ont, oui tout de même, un point commun indéniable.
La Femme.
Bouleversée par l’Histoire ou par sa propre histoire.
Voici donc trois livres féminins, féministes ? A vous de voir, de lire !
Commençons par
Bérénice 34-44,
ce premier roman de Isabelle Stibbe aux éditions Serge Safran.
La force du roman est bel et bien son héroïne, Bérénice. On se prend facilement d’amitié pour cette adolescente juive au caractère vif et buté. On a plaisir à la suivre dans le Paris des années 30, au moment effervescent de la découverte de sa passion pour le théâtre et de la naissance de sa vocation pour le métier.
Une vocation qu’elle vivra entièrement, jusqu’à se séparer de ses parents, incapables de comprendre. Quand elle entrera à l’Académie Française, elle se sentira enfin dans son élément, fière et passionnée. Idéaliste, elle croit en la culture comme arme, et refuse de croire que la France s’abaissera aux bottes des Nazis en 1941. Alors, quand l’Académie Française elle-même, cette institution qu’elle vénère, se soumet aux exigences allemandes et se sépare de ses éléments juifs, elle tombe de haut. Dénoncée, elle doit s’en aller, et surtout, ne plus jouer. La sensation d’être inutile, rejetée par son milieu la blesse terriblement. Recueillie par un ami entré dans un réseau de Résistance, il la soignera et, à son tour, elle combattra à sa manière la guerre, jusqu’à ce qu’elle perde.
Isabelle Stibbe arrive brillamment à nous dessiner le portrait d’une femme qui ne vit que pour sa passion et qui, dans cette période de guerre où elle ne peut plus jouer, tombera mais rebondira à chaque fois. Une femme forte, passionnée et idéaliste, bouleversée par son époque et tenant la barre jusqu’à la fin.
Bérénice est pleine de vie, on est heureux de l’avoir connu, elle nous laisse une sensation de force et d’indépendance qui nous porte encore après la lecture du livre.
Continuons notre épopée féminine avec
Une faiblesse de Carlotta Delmont
de Fanny Chiarello aux éditions de l’Olivier
Deux mois après sa lecture, il reste en tête. Et c’est bon signe, très bon signe. Il aurait pu avoir le Prix Landerneau (à peu de chose près, il l’avait…). Mais cela n’enlève absolument rien au fait que c’est un très bon roman doté d’une atmosphère sans pareil.
Nous suivons cette femme, Carlotta Delmont, emprise à un moment de détresse, un désir irrépressible de fuite vers l’inconnu, d’expérience improbable. Sortir de son chemin, bifurquer.
Elle disparaît donc. Et personne ne sait où elle est, les articles de journaux (car c’est une célèbre cantatrice, juste avant que Maria Callas soit découverte) se multiplient, essayant d’imaginer quantités d’hypothèses –suicide, amant, meurtre…
Et finalement, cette remise en question, cette dépression, cet envol pour la liberté, changera sa vie. Car les choix que nous faisons, soient-ils juste des pulsions, peuvent faire que notre vie prendra un tournant impensable.
A travers articles de journaux, journal intime et pièces de théâtre, nous sommes témoins de la vie de cette femme à un tournant de sa carrière, de sa vie affective et professionnelle.
Fraîcheur, fantaisie, originalité sont les mots qui me viennent sans cesse quand je dois parler de ce roman. Un bouffée d’air frais pour une lecture au plaisir indéniable.
Et terminons par
Dans l’ombre de la lumière
de Claude Pujade-Renaud, aux éditions Actes Sud.
En 2011, j’avais beaucoup aimé Les femmes du braconnier, le livre qui m’a fait découvrir Claude Pujade-Renaud. Sans le prix Landerneau, je ne pense pas que j’aurai osé me lancer dans la lecture de Dans l’ombre de la lumière, tant le sujet me paraissait ardu et intimidant. En effet, C. Pujade-Renaud nous amène au début du 5ème siècle à Carthage, auprès de Saint Augustin et sa concubine. N’ayant aucune connaissance et passion pour cette période et cet homme, j’y suis donc allée avec des pincettes. Mais voilà, la langue et le style travaillé en douceur et avec minutie de l’auteur fait tout le travail d’accompagnement vers l’Histoire.
Ici, c’est Elissa, la femme troublée, qui est au centre du roman. Elle nous raconte comment la jeune femme rencontra Augustinus, alors jeune homme manichéen, ardent et passionné. Ils vivront une union d’amour et d’échange 15 ans durant, et auront un fils qui mourra loin d’elle à l’âge de 17 ans. Carriériste et calculateur, il la répudiera pour favoriser un mariage arrangé avec une grande famille. Elissa, détruite par cette rupture sans appel, se réfugiera chez sa sœur à Carthage et y vivra une vie de labeur et de chasteté.
Douze ans plus tard, lorsque, devenu évêque chrétien d’Hippone, Saint Augustin revient sur les terres de son adolescence, Elissa se retrouvera en proie à ses souvenirs, revivant sa liaison, les moments de joie, d’amour, de famille et puis les blessures…
Bien entendu, Claude Pujade-Renaud prend ses libertés de romancière pour raconter cette femme, dont l’Histoire ne sait pas grand-chose. D’un autre côté, elle retrace les écrits de Saint Augustin de manière à leur donner une lecture abordable.
On se prend à apprécier ses réflexions sur Dieu, la vie, l’amour, la guerre et à se passionner de ses moments spirituels. Et surtout, on est complètement immergé dans cette période, ces terres, et ces façons de vivre aujourd’hui métamorphosées.
Bien sûr, au sommet du livre se trouve cette femme et là où Claude Pujade-Renaud excelle, c’est bien dans la manière de donner vie à un personnage féminin aujourd’hui disparu et la faire vibrante de vie, dans ses rapports au corps, à l’amour, au monde et aux sens. De la même manière qu’elle l’avait fait pour Sylvia Plath dans Les Femmes du braconnier.
C’est certain, c’est réussi. Pour ce qui est de la partie historique je ne saurai dire, mais elle a le mérite de nous donner envie d’en apprendre plus ce cinquième siècle plein de bouleversements.
Voilà pour cette session féminine qui n’empêchera, je l’espère, aucun homme à lire un de ces livres…
Signé Gaëlig.
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* Lennon strikes back!