Helter skelter : sur Lionel Asbo de Martin Amis - une lecture critique de Stéphane
Même si le jeu des titres des Beatles pour chaque papier est terminé*, la présence, dans le roman de John, Paul, George, Ringo et Stuart ne me laissait pas le choix.
Tout ça à cause de Grace, la mère de la tribu Pepperdime, fan des Garçons dans le vent. En plus des cinq Beatles (dois-je expliquer qui était Stuart? googlez-le), il y a eu Silla et il y a Lionel, né Pepperdime et devenu Asbo.
A l'ouverture du roman, Grace a trente-neuf ans.
Ca débute comme ça :
2006 : Desmond Pepperdine, garçon de la Renaissance
"Chère Jennyviève,
Je sors avec une femme plus vieille que moi C'est une dame dune certaine distinction, ça me change agréablement des adolescentes de mon âge que je connais (comme Alektra par exemple, ou Chanel. Le sexe est super et je crois que je suis amoureux. Mais il y a une grave compllication que voilà; c'est ma mamie!
L'auteur de ces lignes, Desmond Pepperdine (Desmond, Des, Desi), avait quinze ans et demi."
Desmond est le neveu de Lionel, fils de Silla, décédée d'une stupide glissade fatale, et que Lionel a décidé d'élever. Ou plutôt de mal-élever. Nous sommes à Diston "la dystonique" selon le narrateur où le taux de mortalité est aussi élevé que celui de la natalité; on naît dans des familles nombreuses et on meurt tôt. Grace Pepperdine a eu ses sept enfants avant ses dix-neuf ans...
La vie de Desmond est rythmée par les séjours en prison de Lionel et nourrie par les théories de son oncle sur la vie, la violence, la justice. Desmond fait ses classes au côté de cette brute. Garçon de la Renaissance, nous dit-on, à l'humanisme et à la curiosité qui détonnent à Diston.
"Comme nombre de délinquants de carrière, Lionel avait quasiment le niveau de thèse de doctorat en droit criminel. Le droit criminel était le troisième passage obligé de la trinité chevillée à sa vocation, les deux autres étant un comportement criminel et la prison."
Au rythme des chansons des Beatles, dont les titres, parfaitement choisis, offrent une BO idéale aux scènes du roman (la première fois où Des est séduit par sa grand-mère, c'est If I fell!) Martin Amis développe une galerie de personnages si colorée qu'à côté les costumes des Beatles en 67 paraissent fades. Lionel Asbo a troqué son nom de Pepperdine pour celui de Asbo : Anti-Social Behaviour Orders ("ordonnances censées combattre les comportements antisociaux") Terreur des bacs à sable (ce n'est pas une image), il gravit vite les échelons de la délinquance, grâce, notamment, à ce qu'il appelle la "théorie du crétin" : sa bêtise, comme sa conscience professionnelle, n'a pas de limites. Si la victime de sa brutalité porte plainte, il ira en prison certes, mais en sortant, il remettra le couvert encore et encore... Il est comme ça, Lionel, il a des principes. Et malgré sa vie, sa violence, son racisme ordinaire, son rapport bizarre au sexe (le porno est plus fiable qu'une relation!), sa méfiance de l'intellect -études, presse sérieuse- il a une vision conservatrice de son pays et se désole des saletés et des nouvelles perversions qui s'étalent dans les torchons qu'il ne rate, pourtant, jamais.
Martin Amis s'en donne à coeur joie avec ce personnage rabelaisien. Son franc parler fleuri est une source incroyable de rires. La scène de la soirée de mariage du meilleur ami de Lionel est un morceau d'anthologie, avec un discours et un final d'une incroyable drôlerie (si vous ne devez lire que ça, précipitez-vous pages 112 à 116). La finesse n'est pas sa marque de fabrique, sûr, mais Lionel est parfois à l'image de son beau pays...
Martin Amis ne se contente évidemment pas de dresser le portrait de l'Angleterre d'en-bas. Dès l'ouverture il y a le problème de la relation incestueuse entre Des et Grace. Et rapidement on soupçonne ce que Lionel réserve à un autre jeune amant de sa mère. Mais le danger pour Desmond reste présent tout le roman... avec quelques frayeurs pour le lecteur. Et l'autre gros morceau, c'est la fortune. Bien qu'il considère la loterie comme "un piège à con", Lionel va se retrouver à la tête d'un énorme gain, environ 140 millions de livres.
La farce prend alors une autre tournure, avec Lionel s'essayant à la vie de star des tabloïds, au couple, à la getion de patrimoine, etc.
Bref, faut lire. Absolument!
Saluons le travail du traducteur, Bernard Turle (habitué de TC Boyle, Peter Ackroyd et André Brink, entre autres) qui a su se dépatouiller du formidable travail sur la langue de Martin Amis.
Signé Stéphane
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* Pour les nouveaux, tous mes papiers sur les romans de la rentrée littéraire 2012 avaient pour titre une chanson des Beatles. Qu'en sera-t-il de la rentrée 2013?