Time flies... you can't... : sur Le Temps, le temps de Martin Suter - une lecture critique de Stéphane
La phrase complète est : Time flies, you can't, they fly too fast.
Et c'est rigolo. C'est une blague de linguistes, tout le monde ne peut en apprécier l'humour et la portée; ces types sont tellement bizarres. Vraiment, je me dis que j'étais prédestiné à me marrer en lisant Le Linguiste était presque parfait.
J'aime beaucoup Martin Suter. Depuis ma première rencontre, La Face cachée de la lune, j'ai tout lu. Une sorte de fidélité. Savoir qu'il collaborait avec Stephan Eicher me l'a rendu encore plus sympathique. Une sorte de trio. Notre longue relation me fait même lui pardonner certaines faiblesses. Il en va ainsi des vieux couples.
Le temps, le temps (Die Zeit, die Zeit - traduit, comme d'habitude par Olivier Mannoni) renoue avec ce qui fait le grand talent de Suter : le recours à l'intrigue policière, le flirt avec l'étrange et un art du récit d'une redoutable efficacité.
Ca débute comme ça :
"Quelque chose n'était pas pareil, mais il ne savait pas quoi."
Peter Taler passa ses soirées à la fenêtre, observant minutieusement le devant de son immeuble. Et, à l'intérieur, il recréé également la soirée qui a été le théatre de l'assassinat de sa femme, un an auparavant à l'entrée de l'immeuble : repas, odeurs, ambiance. Par cette "nouvelle vie d'observateur" il espère ainsi découvrir ce qui cloche dans ce présent. C'est, il le sent, le moyen de trouver le tueur qui court toujours. Et d'en finir - "pour lui-même et pour l'autre".
Il découvre qu'il n'est pas le seul à scruter ce bout de rue. Son voisin d'en face, le vieux Knupp l'épie également. Sa rencontre avec l'original et inquiétant Knupp va lui faire découvrir le projet fou que celui-ci a entrepris, hérité de la conception du temps de Walter Kerbeler, développé dans on ouvrage L'Erreur Temps. Reproduire à l'identique la journée du 11 octobre 1991, jusqu'aux moindres détails. Le temps, en effet n'existe que par les traces de changement qui séparent deux moments; sans ces traces, le temps est aboli. Et alors la femme de Knupp sera de nouveau vivante.
Projet fou que Taller accompagne parce qu'il espère obtenir les informations que Knupp possède sur le meurtre de sa femme...
L'horloger suisse Suter frappe encore. Vertigineux de son usage dilaté du temps et du détail, Suter tisse une intrigue où Peter Taller semble se perdre.
"Dans cet état d'irréalité où l'avaient plongé le surmenage et la fréquentation de Knupp, l'idée que le temps n'existait pas ne lui paraissait plus aussi invraisemblable. Et si le temps n'existait pas, l'année qui s'était écoulée depuis la mort de Laura n'existait pas non plus."
D'originale, la théorie devient inquiétante - le délire, fantasme. Et Martin Suter maîtrise tout ça de bout en bout, étouffant le lecteur parfois des détails microscopiques qui étouffent l'esprit de Taller et Knupp. Le suspense est maintenu jusqu'au bout et offre un dénouement surprenant et déroutant.
Avec un roman comme ça, je ne suis pas prêt de rompre. Tentez l'aventure Suter!
Signé Stéphane