Weird science* : sur La Désse des petites victoires de Yannick Grannec - une lecture critique d'Arnaud
En 1980, Anna Roth, documentaliste (parce qu'il faut bien manger) à Princeton est chargée de prendre contact avec Adèle Gödel, afin de récupérer toutes les données, rapports et résultats scientifiques de son défunt mari, l'éminent scientifique Kurt Gödel.
La vieille dame, Tatie Danielle en puissance, est seule depuis longtemps et sait parfaitement que les travaux scientifiques dont elle a "la garde" sont indispensables à l'Université et lui reviennent même légalemen
t.

Cependant, parce qu'elle est acariâtre, peut-être parce qu'elle s'ennuie ou certainement parce qu'elle a besoin de se confier avant la fin, elle met les choses au clair: Afin de récupérer ce qu'elle demande et espère, Anna, devra supporter d'entendre et d'écouter ce qu'a été sa vie à elle, indissociable de celle de son mari.
Pour le commun des mortels, Kurt Gödel est certainement un bon personnage de fiction, mais pour les amateurs, on sait quel scientifique brillant il a été, dans la réalité.
Albert Einstein, son collègue durant des années, disait de lui: "Je ne vais à mon bureau que pour avoir le privilège de rentrer à pied avec Kurt Gödel"
et l'anecdote piquée dans Wikipédia en dit un peu plus sur lui et sa mentalité:
"À la fin de 1947, Gödel doit subir un examen en vue de sa naturalisation, avec pour témoins ses amis Oskar Morgenstern et Albert Einstein. Pour une personne possédant ses références il s'agit d'une formalité, mais Gödel se prépare avec une extrême minutie, et alors qu'il étudie la Constitution américaine il y découvre une faille logique qui permettrait de transformer en toute légalité le régime politique du pays en régime dictatorial. Il fait part de sa découverte à ses deux amis, fort inquiets que Gödel n'aborde le sujet avec le juge chargé de l'entretien préalable à la naturalisation. Tous deux sont convaincus d'avoir réussi à en dissuader Gödel, malheureusement en quelques phrases le sujet vient sur le tapis : le juge s'enquiert d'abord du régime politique en vigueur en Autriche, Gödel répond que celui-ci, autrefois une démocratie, s'est transformé en dictature ; le juge rétorque qu'une telle chose ne pourrait arriver en Amérique, mais Gödel soutient le contraire, et dit qu'il peut le prouver. Fort heureusement, le juge, qui connaît Einstein, décide d'interrompre là l'entretien"
Adèle Gödel, nous raconte donc, toutes ces années passées à côté de ce type qui dès qu'il avait fini de faire l'amour, se rhabillait en pensant déjà à ses formules, des années de guerre (les Gödel étant juifs) de ces dîners chez les Oppenheimer, de l'hypocondrie du scientifique et de sa triste fin de vie.
Ce premier roman, d'un abord rébarbatif (qui pourrait s'intéresser à la vison romancée d'un grand scientifique?) est un vrai régal, tant par ses révélations historiques que scientifiques.
La manière de mettre en scène les relations entre Adèle et Kurt d'un côté, et Adèle et Anna de l'autre, est un régal et nous incite à en lire toujours un peu plus.
Les explications scientifiques qui émaillent ce roman, et qui représentent souvent un frein dans le genre, sont d'une clarté, d'une richesse et même d'un amusement qui convaincront le plus hermeto-scintifique des lecteurs!
Signé Arnaud
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* chanson générique du film Weird Science - en français Une Créature de Rêve. John Hughes. 1985
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