Robinson? : sur Ce qu'il advint du Sauvage Blanc de François Garde - une lecture critique d'Alexandre & Stéphane
Extrait des bulletins et mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, du 20 Avril 1911 :
« Quoi qu'il en soit, malgré son éloignement de toute civilisation moderne pendant dix-sept ans, et malgré qu'il eût vécu de la seule MENTALITE NÉOLITHIQUE de quatorze à trente et un ans, dès qu'il fut de retour dans son pays de Vendée, Pelletier reprit vite le niveau intellectuel des marins de son âge, n'ayant été qu'à l'école primaire jusqu'à dix ans. Et rien ne dit que son intelligence, nullement atrophiée, n'aurait pas pris un plus grand développement, si sa Patrie, au lieu de le reléguer dans une geôle, ouverte au milieu des flots, l'avait, par exemple, installé en plein Paris, aux Ministères de la Marine ou des Colonies : ce qu'il méritait bien autant qu'un autre ! »
Ce qu'il advint du sauvage blanc est un récit librement inspiré par l'histoire d'un matelot vendéen. Au milieu du XIXème siècle abandonné sur une plage d'Australie, Narcisse Pelletier vécut 17 ans parmi les natifs avant d'être récupéré par un navire anglais, le John Bell, et de rentrer en France où il devint gardien de phare.
Librement inspiré, car François Garde décide dans son roman que son rescapé, pendant son exil forcé, a occulté complètement son passé, jusqu'à se fondre intégralement dans la peau d'un « sauvage blanc ». Pour survivre dans cette société nomade et sans tabous, il lui fallut choisir entre s'intégrer ou mourir. Oublier tout ce qui le construisait en tant qu'être « civilisé », jusqu'à sa langue maternelle* ou mourir.
Le sauvage blanc n'appréhendera plus la réalité que dans le déroulement du présent, sans passé, sans futur. Et le sujet extraordinaire de Narcisse Pelletier sert à François Garde dans sa plongée dans la nature humaine. Ainsi assistons-nous à l'accueil de son personnage, passant les épreuves initiatiques de cette société vivant au rythme de la nature et pourvue d'une organisation sociale endémique. Jusqu'au premier acte d'intégration, le rire.
L'aventure du natif de Saint-Gilles sur Vie est celle d'un homme passé d'une rive à l'autre, d'une société à une autre, puis de son retour sur ses terres d'origines. Bien différent d'un Robinson.
Pour illustrer l'intêret scientifique apporté par cette aventure extraordinaire, l'auteur invite dans son récit un autre personnage fictif : le Vicomte Octave de Vallombrun. Membre de la société géographique de Paris, il prend sous son aile, ou plutôt à sa charge, ce « sauvage blanc » et devient le témoin du retour à la civilisation. Et c'est à travers les lettres qu'il envoie à son président que le lecteur apprend les découvertes faites sur ce naufragé ou les progrès réalisés.
Pour Octave de Vallombrun, Narcisse Pelletier est à la fois un objet d'étude, un compagnon, une mission, une raison d'être. Le Vicomte décu par son incapacité à briller dans sa vocation d'explorateur, se voue à son projet de comprendre ce qu'a vécu son protégé et de le rapprocher de la civilisation (un monde qui dépasse sa candeur, une société en attente de sensationnel, sceptique ou admirative).
En tant que libraire ce premier roman, talentueux, est l'ouvrage rêvé. Non seulement pour l'enthousiasme que sa lecture déclencha chez moi, mais pour ses qualités intrinsèques qui faciliteront mon rôle de prescripteur. Qu'un livre qu'on aime soit intelligent, bien écrit, bien construit (deux récits convergents), facile à lire, aide forcément à faire briller mon oeil. Et quand mon oeil brille, je convaincs le lecteur.
"De même que les tatouages marqueront sa peau jusqu'à son dernier jour, de même que son esprit reste marqué par ce qu'il a vécu et ne s'en libérera peut-être jamais complétement."
Signé Alexandre
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Ce premier roman reste une des plus belles surprises de mes lectures de décembre pour le Prix Landerneau. Les livres s'enchainaient à un rythme assez infernal compte tenu de la période commerciale assez éprouvante. Dois-je l'avouer, dans ces moments là, la lecture est impitoyable et j'ai recours à la mutilation : j'arrête volontiers ma lecture à la moitié d'un livre quand aucun des éléments suivants n'arrivent : le plaisir, l'émotion, la surprise, l'intérêt.
Ce qu'il advint du Sauvage Blanc contient tous ces éléments pour le lecteur.
Un excellent premier roman, entre roman d'aventure humaine et réflexion sur notre 'humanité'.
Seul hic au tableau : comment me suis-je débrouillé pour laisser le prix partir à un autre roman? (C'était serré, cela dit...)
Signé Stéphane
* c'est un fait historique