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SERENDIPITY

Off he goes* : sur Aujourd'hui l'Abîme de Jérôme Baccelli - une lecture de Stéphane

25 Mai 2014, 10:41am

Publié par Seren Dipity

J'ai commencé le roman pensant continuer ma série de lectures sur le refus, en compagnie d'avatars de Bartleby, ce personnage fascinant de Melville qui préfèrerait ne pas et je me suis retrouvé sur une embarcation en compagnie d'un avatar du capitaine Achab, chassant une baleine blanche comme l'infini.

Evidemment, c'était - c'est toujours - une erreur de franchir le seuil d'une œuvre avec des attentes : elles sont rarement récompensées et elles court-circuitent souvent votre réception.

Ca débute comme ça :

"Une chose est sûre, je suis parti ce matin, à sept heures quinze. Et encore, même cela n'est pas tout à fait exact."

Pascal travaille dans la finance, dans la compagnie d'un génie des flux bancaires, capable d'anticiper les vagues et même de provoquer des tsunamis financiers, engloutissant un coin du monde ici, faisant naître une île là. JEF (John Edward Forese) a rejoint les icônes du siècle sur les tee-shirts. Son génie est reconnu, célébré ; sa fortune, colossale ; sa collection d'œuvres d'art est digne d'un musée.

Le temps d'un week-end dans la propriété du géant, un couvent de Corte, Pascal a l'idée de partir, comme le dit Edmond : mourir un peu, donc. Car le voyage n'est pas une fuite, même s'il en contient une, et se transforme en quête d'un point de fuite. Je suis cryptique? Le roman peut l'être, aussi, parfois.

"Cette nuit-là, dans l'ancien couvent de Corte, lorsque John Edward Forese m'a parlé de cette toile qu'il ne possédait pas encore, et sans qu'il mentionnât laquelle, j'ai soudain compris à la tension qui déformait son visage à quel point cet homme à la carrière si fabuleuse était en réalité fragile et désespéré, perché au sommet d'un château de cartes. Un château de cartes dont j'eus soudain la conviction qu'il aurait suffi d'un seul mot pour l'abattre."

Alors que l'entreprise le traque, Pascal  vogue à la recherche du secret de John Edward Forese. Il a emporté, Graal mystérieux et tout-puissant mais surtout dangereux, une copie protégée par un code du programme développé par JEF. Reste à trouver le code. Et ce code, Pascal en est sûr, se cache au milieu des œuvres et des théories des génies admirés par JEF. Des scientifiques, des philosophes, des astronomes, des peintres qui, depuis toujours, ont cherché à sonder l'abîme.

"Des analogies lointaines se formaient, des liens souterrains se nouaient. A commencer par ce nom d'Anaxagore, que pendant des années je n'avais jamais associé qu'à la salle de réunion du comité de direction du groupe Maxa."

Placé sous le signe liminal d'Anaxagore "l'un des premiers contestataires de l'Antiquité", "le premier des indécis"  (Bartleby alors ? Que nenni !) Pascal va se lancer dans une (en)quête épistémologique de, et dans, la galaxie MAXA, la galaxie de JEF - à la recherche du tout, ou du rien. De l'éther. De l'abîme.

Cette recherche va le mener, et le lecteur avec, ballotté sur ces mers parfois houleuses, sur les traces de Van Gogh et ses ciels, Klein et son bleu, Galilée, Einstein, Ernst, et bien d'autres "artisans du décalage" car, comme le rappelle Jérôme Baccelli...

"On naît expatrié comme on naît gaucher. Un écart, un décalage avec les autres, tous les autres. Il y a des gens comme ça qui naissent mal alignés, comme deux calques mal superposés. On essaie de se réaligner toute la vie. On part, ailleurs, dans une autre ville, un autre pays, on change de femme, d'homme, ou on les accumule, on se sent mieux pendant un moment, un an, dix ans, et le décalage s'installe à nouveau. Un jour on réalise que l'on s'est déraciné pour rien, qu'on fait partie de la noble et triste race des nomades. On repart."

Signé Stéphane

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* Pearl Jam.

L'occasion également de découvrir le travail fascinant du photographe Denis Darzacq (la photographie de la couverture est tirée de la série La Chute), ICI.

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