Dans ta face! : sur Pile entre deux d'Arnaud Le Guilcher - une lecture critique de Stéphane
Arnaud Le Guilcher est de retour! En très grande forme! Après le diptyque couple [En Moins bien ICI]/paternité [Pas Mieux LA], Arnaud Le Guilcher se lance dans...
couple + paternité + écologie + finance + zoophilie!
Oui, je sais, comme ça, ça peut faire peur.
Alors préparez-vous, ça va remuer!
Comme ses deux premiers romans, Pile entre deux est jubilatoire grâce à son bon mélange de péripéties et de langage fleuri. Ce qui est bien avec un roman d'Arnaud Le Guilcher, c'est qu'on sourit en le commençant (juste parce qu'on est content de le retrouver, Arnaud), on rit souvent (parce qu'il est libre comme l'albatros, Arnaud) et on le finit en souriant (parce qu'il est fort et tendre, Arnaud, vraiment fort! Vraiment tendre!)
Ce troisième roman est plus ambitieux que les deux premiers : l'auteur nous précise d'entrée qu'il s'agit d'une Fable (inscrit sous le titre, ça relève de la poétique de la lecture donc c'est important -naan, c'est vrai, y a des trucs avec lesquels on ne plaisante pas ici)
Ca débute, toujours aussi bien, comme ça :
"James O'Sullivan a toujours été gros."
Mais qui est l'énigmatique James O'Sullivan? Et plus grave, docteur, qui est Arrowhead qui trône en haut de page? Une bouteille, les amis. Une simple bouteille d'eau qui va nous raconter une histoire incroyable, magnifique, épique, morale. Tout en tendresse et plastique non recyclé. Une histoire d'économie et d'écologie, une histoire d'un monde devenu fou qui tente de stopper le massacre ("Des abrutis dirigeaient des barbares qui aliénaient des cons.")
Donc il y a Arrowhead, qui, au seuil du livre, nous promet pas "le chef d'oeuvre" mais un "grand voyage". Et il y a Antoine Derien, 29 ans, toutes ses dents mais des problèmes de calcul qu'une intervention hilarante via le pénis devrait régler, un gosse à croquer, une boite morte-née depuis que ses deux associés sont hospitalisés, un père malade et chiant comme la mort. Et une femme du tonnerre, Judith. Belle, pleine de charme, pleine de talent, à la réussite professionnelle aussi irréprochable que rentable. Elle bosse dans la finance.
Et justement, le système financier mondial a trop déconné. L'aventure commence lorsque Judith appelle Antoine. Il doit aller la chercher à la Défense. Quand il arrive avec Fano, un ami, prof de yoga, ils sont embarqués avec tous les autres traders et faits prisonniers. Finies les conneries des spéculateurs internationaux. Le groupe NIHILISM vient de frapper. Antoine et Fano se retrouvent avec les bandits de la finance du monde entier. Direction Midway Atoll, une sorte d'Alcatraz à ciel ouvert où les albatros cohabitent avec les déchets du monde entier...
Ca c'est pour le pitch mais les connaisseurs le savent, un roman d'Arnaud Le Guilcher ne se résume pas à une histoire. Et tiens! si c'était ça, la littérature : quand l'histoire n'est rien sans la langue? J'espère que la question énervera les protecteurs de la littérature avec un L qui peinent à imaginer que celle-ci puisse être publiée ailleurs que dans la Blanche. Quelle connerie.
Mais revenons à Arnaud et son univers.
Arnaud a toujours l'art du dialogue :
"Il reste de la flotte?
- Non... J'ai du Jack Daniel's, par contre.
- Super! C'est vrai?
- Non.
- Vous êtes tous aussi cons dans le milieu du yoga?
- Ca dépend des écoles."
L'art de la formule :
"L'open space est le champ de bataille de l'ambition professionnelle."
L'art de croquer ses personnages, comme DSQ (oui, oui, c'est bien celui auquel vous pensez):
"Unanimement reconnu pour la pertinence de ses analyses, on le lui connaissait qu'un inconvénient : nul n'avait trouvé à ce jour un moyen de lui péter le frein. Partouzard émérite, goleador de la braguette, propriétaire de dix-huit coffres planqués à la banque du sperme, il avait la réputation de tomber dans le panneau, dès lors que le panneau sentait un peu le tourteau..."
L'art de transformer une cystoscopie (une opération pour éliminer les calculs rénaux par l'urètre) en une scène d'anthologie hilarante (page 105 et suivantes):
"Il fallait m'introduire une sonde dans le canal, cette sonde allait pousser le caillou, qui allait retourner chez sa mère qui habitait dans mon rein. Une fois là-bas, on l'éclaterait à coups de laser. Voilà. Le massacre allait se terminer par un combat avec Dark Vador. 'Antoine, je suis ton père.' "
"Le professeur m'annonce que pour savoir précisément où se trouve le caillou, ils vont préalablement m'introduire une caméra dans le sexe. Je dis halte là. Je dis stop. Je dis que moi vivant, personne n'ira filmer dans ma bite, que la plaisanterie a trop duré et que j'exige de parler à mon avocat, ou à défaut au caméraman."
L'art de la description bucolique :
"Cette mélasse impraticable était le lieu de baignade idéal d'un Pierre Bérégovoy ou d'un Kurt Cobain."
L'art du romantisme animal, avec Lothar, une otarie mâle amoureux de Fano:
"Et donc, elle m'a dit qu'elle m'aimait.
- Je vois pas où est le problème.
- Le problème, c'est qu'on vit pas dans un remake de La vache et le prisonnier broutent à Brobeback Mountain."
L'art de l'héroïsme brut de décoffrage :
"La castagne, ça m'emballait pas des masses. Je n'étais pas du tout taillé pour la guérilla, moi. Déjà tout petit, je préférais jour à la pâte à modeler qu'aux petits soldats. La vue d'un pistolet en plastique me faisait turbiner les grandes lacrymales. Quand je tombais sur une photo de Schwarzie ou de Sly, j'avais la diarrhée."
Et il y a Albator. Je vous ai parlé d'Albator? Et de Wiki? Et de l'Oreille de l'île?
Non? Oh purée... Je vous avais prévenu, ce type est trop fort!
Signé Stéphane.