L'ivresse avec ou sans bulles : sur Le Roman Graphique de Beronä et Romans Graphiques de Ghosn - une lecture critique de Stéphane
Deux ouvrages viennent de paraître sur le roman graphique :
Le Roman Graphique, des origines aux années 1950 de David A. Beronä (Ed de La Martinière - avril 2009)
Romans Graphiques, 101 propositions de lecture des années soixante à deux mille, de Joseph Ghosn (Ed Le Mot et le Reste - novembre 2009)
Ce que l'on remarque immédiatement c'est le singulier/pluriel des choix des titres. Quand on s'interroge sur qu'est-ce que le roman graphique (en comparaison à la BD), on se dit que ces
deux livres risquent fort de contribuer au schmilblik... Et on a raison. Je fais parti des gens qui s'interrogent sur le genre en fiction. Pas que j'aime les étiquettes ou les cases, juste que le
flou m'amuse et m'intrigue*.
Si vous allez vous noyer sur internet ** vous verrez que là aussi les définitions, les chronologies, les limites et les sélections changent et varient d'un site à l'autre.
Bref, c'est le bordel.
J'aime bien. Ca m'amuse.
Mais plus encore, j'aime le roman graphique -quel qu'il soit...
Donc. A ma gauche, 55 kgs mouillé, dans un string à paillette rose, l'école qui pense que le roman graphique n'a pas une bulle, pas un mot, se pratique de préférence à coup de woodcuts (link) ou de carte à gratter (link).
A ma droite, 55 kgs épilé, souffrant d'une hypertrophie testiculaire, l'école qui pense que le roman graphique c'est une BD-intello-qui-se-la-pète.
Je dis ça par provocation évidemment mais, malgré tout, devant le flou de leurs hasardeuses définitions, c'est ce qui ressort.
Je dois avouer que le roman graphique, selon moi, n'a pas un mot - un comble pour un roman, admettez-le. On connaissait les romans sans style, sans idée, sans histoire, sans auteur, etc.
Il ne faut pas non plus le confondre avec le roman illustré - encore que. Lorsqu'elle est bien choisie l'illustration d'un roman par un dessinateur ou un artiste peut transformer le tout en
quelque chose de différent - pas une simple juxtaposition. Certaines collections sont devenues célèbres pour le parfait mélange du texte et de l'illustration, comme les Futuropolis/Gallimard
(Céline/Tardi, Kafka/Götting, Faulkner/Julliard, Dos Passos/Hyman, etc). Il y a eu une tentative similaire dans la Série Noire au début des 90's. Très peu de titres sont sortis (4) et sont aujourd'hui épuisés (d'ailleurs, il m'en manque un...
faudrait que je cherche ça activement) Les éditions Liber Niger/les 400 Coups ont également publiés des romans illustrés par des dessinateurs (une dizaine). Les éditions Alternatives
commencent cette année leur collection Tango avec des textes de Djian et Lovecraft... J'en oublie, n'hésitez pas à me signaler d'autres collections. Je suis preneur.
Mais revenons à nos romans graphiques.
La paternité même du terme 'roman graphique' est discutée : le génial Will Eisner d'un côté (en 78), Richard Kyle de l'autre (en 1964 dans un fanzine).
Autant le
livre de Beronä est clairement balisé, autant le livre de Ghosn demeure assez flou dans ses définitions et ses limites. Avouons que c'est ce qui fait son charme, d'ailleurs. Le mot
serendipity est ici à l'honneur : j'y suis venu pour découvrir des romans graphiques, j'y ai trouvé des BDs que je ne connaissais pas. Et il donne envie le bougre : voyez le
sous-titre, 101 propositions de lectures. On a de belles années devant nous...
Ghosn cite d'ailleurs l'ouvrage de Beronä qui offre "une étude et un tour très complet". Et il précise que les livres dont parle Beronä sont dits romans graphiques
"rétrospectivement" [...] et cela parce qu'ils s'inscrivent dans une tradition romanesque forte tout en étant construits à partir de dessins."
Soit.
Ce qui est sûr, c'est que des récits comme Col Blanc de Giacomo Patri (Ed. de La Découverte) et l'oeuvre de Frans Masereel en Europe, et les oeures de Lynd Ward et Laurence
Hyde aux USA ont montré que la bande dessinée pouvait ETRE autre chose, et surtout DIRE autre chose, que les comics strips et la BD belge. La boite de Pandorre ouverte, tout était devenu
possible...
Je sors d'une période romans graphiques assez excitante. J'ai complèté ma collection des ouvrages de Thomas Ott, que j'adore, et j'ai commandé aux Etats-Unis des chefs d'oeuvre introuvables en
France d'artistes comme Lynn Ward (éditions Dover, le précurseur de Librio) et Laurence Hyde qui ont largement inspiré Eric Drooker pour le magnifique Flood! qui vient
de sortir aux éditions Tanibis.
Pour découvrir Thomas Ott, visitez son site et jetez vous cette merveille absolue dont le titre est tout un programme, 73304-23-4153-6-96-8, ou
comment une série de chiffres peut transformer une vie, pour le meilleur ou le pire(L'Association, 2008) A découvrir également : Dead End, Tales of Error, Cinema Panopticum, La
Douane et, bien sûr, TOTT
http://www.tott.ch/
Au mois d'avril L'Association réédite trois albums plus ou moins épuisés de Thomas Ott : RIP, best of 1985-2004.
Au final, on ne sait toujours pas ce qu'est le roman graphique, hein? On s'en fout, en fait. C'était juste histoire de vous parler de ces deux très bons ouvrages qui vont vous faire dépenser des
sous, découvrir des auteurs et des univers, et d'évoquer rapidement quelques découvertes à faire.
Si vous découvrez Will Eisner, Thomas Ott, Lynd Ward et Drooker, j'aurais rempli ma mission.
Et c'est déjà ça.
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* Observez par ex, les récentes discussions sur Jan Karski (revendiqué 'roman' et classé dans la catégorie 'essai' de certains prix) ou la remarque de Naulau sur le Goncourt, également 'roman'
alors que composé de trois longues nouvelles -bien qu'ici la mauvaise foi de Naulau soit manifeste.
** on dit surfer sur internet, non? à l'image du surfeur bronzé, bien bati, qui flotte sur une mer agitée comme un Jésus en short, je préfère l'image du noyé. Comment ne pas se perdre dans un
truc pareil?
Signé Stéphane.