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SERENDIPITY

Catching fish in the darkness : sur La Constellation du chien de Peter Heller - une lecture critique de Stéphane

23 Juin 2013, 14:19pm

Publié par Seren Dipity

Un de plus*? Encore un autre roman de tendance eschatologique (relisez bien, je ne parle pas de 50 Nuances)?

Ca débute comme ça :
"Je laisse tourner la Bête, je garde des réserves d'Avgas 100, j'anticipe les attaques. Je ne suis pas si vieux, je ne suis plus si jeune. Dans le temps, j'aimais pêcher la truite plus que tout au monde ou presque.
Mon nom, c'est Hig, un nom un seul. Big Hig, si vous en voulez un autre."
Une ouverture qui contient tellement de choses : la triste réalité de Hig, la vigie permanente, et  tout le reste, toute la beauté du monde : le vol et la pêche.
Neuf ans après la fin du monde, quelques survivants luttent pour leur survie, pour garder le bout de terre qui leur tient lieu de monde.

"Je ne veux pas perdre le compte : ça fait neuf ans. La grippe a tué presque tout le monde, puis la maladie du sang a pris le relais. Dans l'ensemble, ceux qui restent sont du genre Pas Gentils, c'est pour ça qu'on vit dans la plaine, pour ça que je patrouille tous les jours."
Dans ce chaos qu'est devenu l'Amérique, tout est rare : la nourriture, l'essence, la vie, l'amour, la fraternité.
Reste une poignée d'humains, beaucoup sont malades, les autres sont sains, pas encore tout à fait saufs. Ils doivent lutter pour continuer à vivre une vie qui ne vaut pas vraiment la peine de l'être. Certains se réfugient dans l'attaque pour récupérer des miettes, d'autres dans la défense forcenée de leur territoire et de leurs biens, et il y a Hig. Qui se réfugie dans les airs avec son vieux coucou, ou dans la chasse et la pêche. Hig ne doit sa survie qu'à Bangley, la gâchette sensible et l'âme insensible, et à ses petits plaisirs, voler dans la Bête, un vieux coucou de 1956, pêcher, chasser. Des petites épiphanies.

"Et il y a ce moment où, durant le vol, à voir tout ceci avec l'oeil du faucon, je me sens libéré des détails pénibles : je ne suis pas malade de chagrin, ni moins souple qu'avant, ni jamais seul, je ne suis pas cette personne qui vit avec la nausée d'avoir tué et qui semble destiné à tuer de nouveau. Je suis celui qui survole tout cela et observe de haut. Rien ne peut me toucher.
Il n'y a personne à qui le raconter et pourtant il semble très important de trouver les mots justes pour le dire. La réalité et ce que ça fait de lui échapper. Même encore aujourd'hui, c'en est parfois insupportable tant c'est beau."

Hig se bat contre la disparition, de la race humaine, de la beauté, du langage. Bangley, son coéquipier de survie, n'est pas un bavard. Il tue et discute après, éventuellement. Hig fut poète, dans le temps d'avant Avant. Sa langue est parfois déconstruite, bancale, chaotique elle aussi, comme le monde. Pourtant Hig résiste. Il résiste au destin du monde, à la fin de tout, de la beauté comme du reste. Voler, pêcher, raconter pour "insuffler de la vie par le récit". Il refuse de se résigner à son "don", son destin qui semble être de tout perdre. Il a des phrases terribles comme ça, Hig, "au bout de cette chaîne de la mort" (traduction, ici, de "at the end of all loss")
Et il y a Jasper, son chien, compagnon de vol, de pêche, de chasse. Plus d'humanité que Bangley. Mais la mort frappe encore, à la fin de la première partie du livre, dans une scène superbe.
"Ce n'est pas qu'il ne reste rien. Il reste tout ce qui était avant, moins un chien. Moins une femme. Moins le bruit, la clameur de."

La fuite en avant devient inévitable, pour trouver quoi? Mieux? Pire? Peu importe. Du nouveau, comme dirait Baudelaire. Mais ça se trouve dans la dernière partie du roman.

La Constellation du chien est une ode à la nature, aux petites joies du monde. Hig vit dehors, en quête d'authentique lien avec la nature sauvage, prend "des nouvelles des rivières et des arbres, [...] du vent". La beauté des paysages, malgré la désolation, se reflète dans les pages superbes consacrées à la passion de Hig pour la pêche, dans ce passé qui le ronge, malgré lui, et dans le présent. La pêche comme bouée de sauvetage, comme dans le chapitre où le I fished revient, encore et encore, et soigne tous les maux. Plus qu'un leitmotif, la pêche est la vie. La Constellation du chien c'est toute la beauté, parfois douloureuse de "catching fish in the darkness" - de la vie.

La traduction, signée Céline Leroy (également traductrice de Leonard Michaels, Rachel Cusk, Don Carpenter), est magnifique. La lecture de Mark Deakins a contribué au plaisir de lecture.

A noter, une fois n'est pas coutume : la quatrième de couv' de l'édition française, chez Actes Sud, est excellente.

Signé Stéphane

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* http://fluctuat.premiere.fr/Livres/News/Les-10-meilleurs-livres-apocalyptiques-3255684

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